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peur des responsabilités et des résistances aventureuses. Enfin l’on pouvait croire que l’Angleterre se fâchait tout de bon et que sa colère aurait le dernier mot. Mais les affolemens anglais ne tirent pas à conséquence comme les nôtres. Nous avons prouvé en 1870 que, quand nous voyons rouge, nous perdons la tête, et qu’il suffit qu’on agite devant nos yeux une étoffe écarlate pour que nous nous jetions sur l’épée comme un taureau en démence. Nous avons eu depuis lors d’autres transports moins funestes, mais fort regrettables. On nous a vus, pris de la fièvre, renverser des ministères sans leur laisser le temps de s’expliquer, et ce sont des fautes qui se paient. Les Anglais ne souffrent pas que leurs nerfs soient leurs maîtres et décident de leurs résolutions. Ils disent beaucoup de sottises, ils en font moins que nous. L’Anglais qui parle ou qui écrit a la fureur de l’exagération, aucune hyperbole n’est assez forte pour exprimer ses indignations ou ses mépris. L’Anglais qui agit est un autre homme ; il éprouve le besoin de se mettre en règle avec son bon sens. C’est pourquoi le régime parlementaire a moins d’inconvéniens de l’autre côté de la Manche que partout ailleurs ; car c’est de tous les régimes celui qui demande le plus de raison et de possession de soi-même.

Lord Randolph Churchill disait l’autre jour à la chambre des communes qu’il n’y a dans le Royaume-Uni que les feuilles de province qui expriment l’opinion publique. Sur la foi des journaux de Londres, nous avons pu croire que le ministère libéral était perdu ; nous nous trompions. Nos voisins ont du goût pour les polémiques virulentes, pour les durs sarcasmes, pour les invectives qui emportent la pièce ; mais ils savent dans le fond ce qu’ils en doivent penser.

Un spirituel écrivain remarquait dernièrement que les feuilles de Londres, soir et matin, dénoncent avec une implacable sévérité les fautes commises par les ministres de la reine sur tous les points du globe, que des centaines de milliers d’Anglais se repaissent de ces diatribes, mais qu’il n’en résulte rien. Les bailleurs d’églises ne pensent guère à mettre en pratique le sermon qu’ils viennent d’entendre et d’admirer. Ou s’écrie : « Oh ! que c’est vrai ! oh ! que c’est bien ! Jamais le révérend un tel n’avait si fortement prêché. » Après quoi, l’âme en paix, on retourne à ses péchés et à ses affaires : — « On a dit que la révolution française avait créé le sacerdoce de la presse. De même que la tendance du sacerdoce ecclésiastique était de dispenser les individus de la pénible nécessité d’être religieux eux-mêmes, la tendance de la nouvelle prêtrise est de dispenser les lecteurs de journaux de rien faire pour exercer une pression salutaire sur leur gouvernement. Le commun des Anglais lit son journal avec une respectueuse déférence, comme le pieux Romain consultait les entrailles des victimes ; mais tout commence et finit par une consultation. Articles et