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Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 69.djvu/686

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la session, après quoi il céderait la place à lord Hartington, en lui laissant l’honneur de présider à ces élections générales, où l’on verra pour la première fois à l’œuvre deux millions d’électeurs nouveaux. Espérons qu’auparavant il mènera à bonne fin sa laborieuse négociation avec la Russie. S’il réussit à sauver la paix, les Anglais loueront avant peu sans réserve cette politique de compromis à laquelle ils adhèrent tout en protestant, contre laquelle ils protestent tout en adhérant. Ils sauront gré à ce sage de les avoir préservés de leurs propres entraînemens, d’avoir protégé leurs intérêts contre leurs passions. Et, comme son pays, toutes les nations lui seront reconnaissantes d’avoir épargné au monde le fléau d’une nouvelle guerre, dont la conséquence la plus certaine serait d’affaiblir deux grands pays, également nécessaires l’un et l’autre à ce qui reste d’équilibre en Europe.

Les Anglais sont disposés à croire que leurs embarras nous réjouissent ; tout Français qui raisonne souhaite qu’ils s’en tirent à leur honneur. Leur presse nous a froissés plus d’une fois par ses insinuations malveillantes, par l’âpreté de ses réprimandes, et leur gouvernement n’a pas toujours ménagé nos droits et notre amour-propre. Joseph de Maistre écrivait en 1805 ; « Les Anglais manquent souvent de cette dextérité, de ce liant, de cette souplesse, qui font réussir les négociations. Je voudrais quelquefois être puissant pour leur dire : « Au nom de Dieu, écoutez un peu le bon sens étranger ; soyez aimables, faites l’amour. » Il n’y a entre eux et nous aucun sujet sérieux de discorde. Nous avons dû tout récemment protester contre une procédure arbitraire et couvrir de notre protection un journal qui n’était pas le plus intéressant des cliens. Puisse cet incident désagréable être le seul de son espèce !

En refusant d’intervenir en Égypte, nous avons renoncé volontairement à y jouer le rôle de puissance dominante ; nous désirons que l’Égypte ne soit à personne ou qu’elle soit à tout le monde, et les Anglais ont contracté à cet égard des engagemens dont toute l’Europe a pris acte. D’autre part, nous ne pouvons exiger qu’ils quittent la place en laissant derrière eux l’anarchie. Il faut que le khédive ait une armée, et, à cet effet, qu’il ait de l’argent ; nous nous sommes engagés à lui fournir le moyen d’en trouver. Notre gouvernement encourrait de justes reproches s’il apportait dans ses relations avec le cabinet anglais un esprit d’aigreur et de contention. Comme ce politique de l’antiquité qu’a loué Plutarque, il saura « mesurer ses amitiés ou ses inimitiés à la mesure du bien et de l’utilité publique, » et notre intérêt le plus évident est de vivre dans les meilleurs termes avec l’Angleterre.


G. VALBERT.