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Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 69.djvu/685

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amis, puisqu’ils n’auront rien à me disputer ; je n’aurai jamais d’humeur avec eux, ni eux avec moi ; rien n’est plus aisé. » il arriva que Memnon, ayant ainsi renoncé le matin aux femmes, aux excès de table au jeu, à toute querelle, fut avant la nuit trompé et volé par une belle dame, qu’il s’enivra, qu’il joua et qu’il perdit un œil dans une dispute. C’est un peu l’histoire de M. Gladstone. Il s’était promis : d’être parfaitement sage et que tout le monde le serait comme lui ; malgré ses maximes et ses excellentes résolutions, il a eu des querelles avec tout l’univers, et il n’en a pas été le bon marchand. Faut-il conclure de là que la politique raisonnable n’est pas toujours la plus heureuse ?

Cependant, quelques échecs qu’il ait éprouvés, sa gloire et sa considération n’en sont point diminuées. C’est un grand spectacle de voir cette verte et indomptable vieillesse suffire à toutes les tâches que lui impose la destinée, résister à toutes les lassitudes, triompher de ses chagrins et, toujours maîtresse de son humeur comme de sa parole, faire face à tous les dangers, riposter à toutes les attaques. Jamais ce rude athlète parlementaire n’a donné de plus éclatans témoignages de sa vigueur et de sa vaillance, car jamais gouvernement n’eut à la fois tant d’affaires sur les bras. Il faut négocier avec la Russie, poursuivre les armemens tant que la paix n’est pas assurée, s’occuper des travaux de défense sur l’Indus, surveiller l’évacuation du Soudan, réorganiser les finances égyptiennes, et à tant de difficultés s’ajoute l’éternel embarras de l’Irlande. Un Anglais nous disait jadis : « La question irlandaise est pour l’Angleterre une de ces maladies organiques fort incommodes, et quelquefois douloureuses, qui n’ont rien de dangereux ni d’inquiétant ; on est sûr de n’en pas mourir. » La question irlandaise ne sera jamais pour l’Angleterre qu’une fatigue et un cuisant ennui ; mais elle a compromis l’existence de plus d’un cabinet, et aujourd’hui encore c’est sur les changemens à apporter dans l’administration de l’île-sœur que M. Gladstone a maille à partir avec sir Charles Dilke et M. Chamberlain. On se dispute, on ne se brouillera pas ; une fois de plus, on trouvera les termes d’une transaction.

Faut-il en inférer que M. Gladstone conservera longtemps la direction des affaires ? Il disait dans une des dernières séances de la chambre des communes, que désormais il mesurait par des semaines plus que par des mois le temps qu’il avait encore à donner à la chose publique. On n’a vu dans cette déclaration qu’une de ces coquetteries de vieillard qui se sent si jeune, si ingambe qu’il lui en coûte peu d’annoncer sa mort. On se trompait, paraît-il. Nous tenons de bonne source que M. Gladstone se sent au bout de ses forces comme de sa tâche, qu’il pense sérieusement à se retirer, qu’il a fait part de ses intentions à ses collègues, qu’il restera à son poste jusqu’à la fin de