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les manifestans révolutionnaires du Père-La Chaise et leurs amis, comme on l’a répété furieusement dans les réunions publiques ; elle n’a pas moins été une sédition préparée, cherchée, et il n’est pas impossible qu’elle se renouvelle à la première occasion, toujours sous le même drapeau qui a reparu, quoiqu’il dût disparaître. Or c’est là justement la question. Que se propose réellement le ministère dans cette situation où l’ordre public n’est pas encore positivement troublé, si l’on veut, où il peut l’être cependant à la moindre faiblesse ? Quelles sont ses idées et ses intentions ? Il entend maintenir la tranquillité des rues, il le dit, et il y est lui-même assez intéressé pour être sincère. Sur tout le reste il semble vraiment assez peu fixé, et s’il a la volonté de défendre la paix des rues, il ne fait sûrement rien pour tranquilliser les esprits, les intérêts. Il veut, on le sent, et il ne veut pas, il se décide à réprimer sans conviction, en gémissant. M. le ministre de l’intérieur, interrogé ces jours derniers devant la chambre, a sans doute honorablement couvert ses agens engagés au Père-La Chaise, et, en même temps, dans les explications qu’il a données, il s’est montré si ému qu’il a paru, en vérité, avoir au fond du cœur quelques remords des répressions qu’il a été obligé d’ordonner.

Il y a surtout un point où tout est resté obscur et équivoque, c’est cette éternelle question du drapeau, du « haillon de guerre civile. » Le gouvernement semble ne plus trop savoir à quelle résolution s’arrêter, ni même ce qu’il a le droit de faire devant un emblème de sédition ; en quelques jours il a changé deux ou trois fois d’opinion sans réussir à mettre de l’ordre dans ses idées et quelque clarté dans ses explications. Le drapeau rouge cesse-t-il d’être séditieux s’il se transforme en bannière ou s’il porte dans ses plis quelque inscription, fût-ce une inscription de discorde et de haine ? Sera-t-il tout à la fois défendu dans les rues et autorisé aux convois funèbres ou dans les cimetières ? C’est une distinction étrange, on en conviendra, et un expédient de ce genre, si on avait pu en avoir l’idée, serait offensant pour la raison aussi bien que pour les sentimens les plus intimes d’une ville qui passe pour avoir le culte de ses morts. Est-ce que les cimetières appartiennent aux révolutionnaires qui, en franchissant le seuil sacré, seraient libres de troubler la paix des tombeaux ? Est-ce que les morts qui appartiennent à la population tout entière n’ont pas droit au respect dans leur sépulcre autant que les vivans dans les rues ? Si le drapeau rouge est un emblème de sédition et de guerre civile, il l’est partout, et si le gouvernement ne se croit pas des pouvoirs suffisans, son premier devoir, dans un intérêt de paix sociale, est de se faire armer par les chambres. Montrer sur ce point quelque hésitation ou quelque faiblesse, ce ne serait de la part d’un ministère quelconque, ni acheter de la sûreté pour lui-même, ni certainement servir la république avec prévoyance.

Les affaires du monde ne vont pas toutes seules, et quand les dé-