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mêlés qui s’élèvent quelquefois entre les peuples ont pris un certain degré de gravité, ils ne se dénouent que lentement, difficilement ; on peut même dire que, plus les nations sont puissantes, plus elles ont de peine à se dégager des crises où elles se sont laissé entraîner, sans prévoir les conséquences d’un premier mouvement. L’Angleterre, qui peut certes passer pour une des plus puissantes nations, n’est pas depuis quelque temps, il faut l’avouer, aussi heureuse dans ses entreprises extérieures, dans sa diplomatie que dans sa politique intérieure. Le ministère a fini par triompher de toutes les difficultés dans l’accomplissement de cette réforme électorale à laquelle M. Gladstone a voulu consacrer ses dernières forces, qui fait entrer sans secousse, sans révolution, deux millions d’électeurs de plus dans les cadres de la vie publique anglaise ; il aura raison sans nul doute des embarras que lui cause la perpétuelle incandescence de l’Irlande, qui nécessitent encore aujourd’hui la prolongation ou le renouvellement des mesures extraordinaires de répression. M. Gladstone et son ministère ne sortent sûrement pas d’une manière aussi brillante de ces affaires qu’ils se sont créées par leur politique en Égypte, au Soudan, — surtout en Asie, aux frontières de l’Afghanistan, où ils ont rencontré tout à coup la Russie, froidement résolue à suivre sa marche. Ils n’ont pas été heureux et leur meilleure chance est encore d’avoir su ou d’avoir pu détourner le conflit redoutable dont ils se sont vus un instant menacés. L’Angleterre, dès qu’elle a été en face du péril, a sagement, courageusement tranché dans le vif, sacrifiant ses prétentions ou ses ambitions, au risque de paraître se désavouer. Elle a probablement échappé à la guerre pour cette fois ; elle ne sort pas, en définitive, de cette crise sans quelques pénibles mécomptes, sans ressentir un certain malaise de ses calculs trompés, de ses relations troublées, de la situation assez compliquée et assez délicate qu’elle s’est faite en Europe.

Non, évidemment, l’Angleterre n’a pas réussi en Égypte. Depuis le facile succès qui a signalé le début de son intervention dans la vallée du Nil, elle s’est débattue entre toutes les résolutions ou plutôt entre toutes les irrésolutions, occupant l’Égypte sans profit, affectant la prépotence et la domination au Caire sans paraître avoir une idée arrêtée. Si elle avait procédé nettement, hardiment, de façon à reconstituer un ordre à peu près régulier sur les bords du Nil, elle aurait pu sans doute, jusqu’à un certain point, désarmer ou désintéresser l’Europe par la garantie d’une action bienfaisante ; elle n’en a rien fait, elle a perpétué la désorganisation là où elle régnait. Elle a paru un instant vouloir protéger l’Égypte contre l’insurrection grandissante du mahdi sur le Haut-Nil. Elle a envoyé le malheureux Gordon à Khartoum, puis elle a voulu aller le délivrer ; elle a préparé une expédition dans le Soudan, sous les ordres du général Wolseley. L’infortuné Gordon a péri ; les soldats anglais, engagés en plein désert, ont inutile-