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fit choix du marquis de Ripon, qui avait rendu de grands services au parti et que sa conversion récente au catholicisme ne permettait pas de faire entrer dans le cabinet. Lord Ripon, pour son début, rapporta l’édit qui soumettait la presse indigène à la censure préalable ; cet acte lui valut une grande popularité parmi les Hindous et la sourde hostilité des fonctionnaires anglais. Aussi, malgré l’habileté administrative dont il fit preuve en rétablissant les finances indiennes, lord Ripon ne tarda pas à être en butte à une opposition ardente de la part de la colonie anglo-indienne. Les prétextes en furent deux mesures qui lui font honneur. La première, connue sous le nom de bill Hilbert, du nom de son rédacteur, était une tentative de réforme judiciaire : elle déterminait un certain nombre de cas dans lesquels les tribunaux indigènes ne seraient pas nécessairement dessaisis parce qu’un Anglais se trouverait intéressé dans la cause portée devant eux. C’était un premier pas vers l’égalité des races devant la justice. La seconde fut l’établissement de municipalités électives, indépendantes des fonctionnaires anglais. On exploita encore contre lui la présentation d’un bill qui avait pour objet de réformer une législation qui remontait aux jours de la conquête, et de régler à nouveau les rapports entre les zémindars, ou propriétaires fonciers, et les ryots, fermiers ou métayers, en soumettant à des formalités régulières toute modification dans les conditions de tenure ou dans les prix de fermage. La cabale fut si forte que M. Gladstone se résolut à sacrifier lord Ripon et à le remplacer, à la fin de 1884, par lord Dufferin.

L’accueil fait à ce changement fut une preuve décisive de l’existence d’une opinion publique parmi les Hindous. Lord Ripon était à Simla, lorsqu’il reçut la nouvelle de son rappel ; il se mit immédiatement en route pour Calcutta. Déjà une polémique ardente était engagée entre les journaux anglais, qui se félicitaient de la détermination du gouvernement, et les journaux indigènes, qui la déploraient. Les premiers censuraient amèrement l’administration de lord Ripon, les seconds rappelaient avec reconnaissance qu’il avait délivré la presse hindoue du bâillon que la tyrannie lui avait mis : ils le louaient d’avoir confié l’administration des villes à des conseils municipaux électifs, d’avoir relevé et défendu la dignité des magistrats indigènes, d’avoir rétabli l’ordre dans la comptabilité publique et coupé court aux malversations des fonctionnaires anglais. Une vive surexcitation s’était emparée des esprits. A toutes les stations du chemin de fer, lord Ripon trouvait des multitudes assemblées pour le saluer de leurs acclamations. A Calcutta, la population indigène s’était portée en masse à la gare du chemin de fer. Un comité de réception, à la tête duquel s’étaient mis les