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Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 69.djvu/799

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paraître intimidé, les journaux de Londres redoublèrent d’acrimonie, et l’incident de Penjdeh étant venu à se produire, l’inquiétude gagna toute l’Europe, qui crut la guerre inévitable.

Quelle était, au vrai, la situation ? Pour s’en rendre un compte exact, il faut laisser de côté les polémiques des journaux et s’en tenir aux communications échangées entre les deux gouvernemens. Remontons au point de départ de la question. L’établissement du protectorat de la Russie sur Khiva, en 1873, excita les alarmes des autorités anglo-indiennes ; le prince Gortchakof calma les appréhensions du cabinet de Londres en lui faisant faire par le comte Schouwalof les déclarations les plus rassurantes, quant aux intentions de la Russie, à l’égard de l’Afghanistan. Néanmoins, l’émir Shire-Ali, que l’Angleterre venait de faire asseoir sur le trône de Caboul, fit observer que les khans de Khiva, au temps de leur puissance, avaient exercé juridiction sur les Turcomans de Merv ; il exprima la crainte que les Russes, comme le bruit en courait parmi les tribus, n’entreprissent une expédition contre les Turcomans, que ceux-ci ne se réfugiassent sur son territoire, et n’y amenassent les Russes à leur suite ; ce qui serait pour lui une source de graves embarras et peut-être un danger. Lord Granville crut devoir transmettre à Saint-Pétersbourg l’expression de ces craintes dans une très longue dépêche, dont voici le passage essentiel : « En présence de l’accord qui existe entre les deux pays, le gouvernement de Sa Majesté ne croit pas avoir besoin d’exprimer la conviction où il est que l’Afghanistan est parfaitement à l’abri de tout dessein hostile de la part de la Russie. Il croit bon, cependant, de porter à la connaissance du gouvernement russe les craintes conçues par l’émir et d’exprimer le ferme espoir que la question d’une nouvelle expédition contre les tribus turcomanes serait l’objet d’un sérieux examen par rapport aux conséquences que l’émir de Caboul en appréhende. Il croit devoir déclarer franchement, et tout de suite, qu’il considère l’indépendance de l’Afghanistan comme une question d’un haut intérêt pour la prospérité et la sécurité de l’Inde anglaise et pour la tranquillité de l’Asie. » Le prince Gortchakof répondit par une dépêche au comte Schouwalof, dans laquelle il réitérait la déclaration, si souvent rappelée depuis lors, que la Russie « considérait l’Afghanistan comme absolument en dehors de sa sphère d’action. » Le prince ajoutait : « La Russie n’a aucune intention d’entreprendre une expédition contre les Turcomans. Il dépend absolument d’eux de vivre en bons termes avec nous, et même de tirer profit de notre voisinage et des débouchés que nous essayons d’ouvrir au commerce pacifique ; mais si ces tribus turbulentes se mettent à nous attaquer et à nous