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piller, nous serons bien forcés de les châtier. C’est une nécessité que le gouvernement de la reine connaît par sa propre expérience et à laquelle ne peut échapper aucun gouvernement en contact avec des populations sans frein. »

Un peu plus tard, à l’occasion d’un voyage d’Alexandre II en Angleterre, le prince Gortchakof faisait informer le gouvernement anglais que l’empereur avait formellement interdit à ses généraux toute expédition contre les Turcomans-Tekkès, dans la direction de Merv. À ce moment, l’Angleterre ne mesurait pas encore toute l’importance de la position de Merv et, de son côté, la Russie ne songeait à rien entreprendre contre cette oasis, que ses troupes ne pouvaient atteindre que par une marche de dix à douze jours à travers le Karakoum, cette mer de sable brûlant qui s’étend au sud de Khiva et à l’occident de la Boukharie. Toute l’attention des deux gouvernemens était concentrée sur la ligne de l’Oxus. Or, depuis que Samarcande et Boukhara étaient passées en sa possession ou sous son protectorat, la Russie avait accepté Khoja-Saleh comme extrême limite de sa domination dans la vallée de l’Oxus, déclinant ainsi toute prétention sur les petites principautés de Balkh, de Khoulm, de Kondouz et du Badakshan, dont les khans avaient été soumis par Dost-Mohamed et réduits à l’état de vassaux du souverain de Caboul. Les limites de l’Afghanistan du côté de l’Oxus étaient donc parfaitement déterminées : et la Russie se déclarait prête à les déterminer également du côté de la Perse par un accord avec le gouvernement anglais. Celui-ci accueillit favorablement cette ouverture et fit même préparer une carte tout exprès ; mais l’opposition de M. Gladstone fit abandonner ce projet. Il ne semblait point qu’il y eût péril en la demeure. La Russie commençait à peine son établissement de Krasnovodsk ; elle n’avait soumis ni les Tchandors, ni les Yamouts-Goklan, ni aucune autre des tribus turcomanes qui promènent leurs troupeaux et leurs tentes entre la mer Caspienne et le khanat de Khiva : ce n’est qu’en 1875 qu’un parti de Cosaques exécuta, pour la première fois, une reconnaissance entre Krasnovodsk et Kizil-Arvat. C’est après la guerre de 1879, comme il a été dit plus haut, que la Russie, désireuse d’avoir barre sur l’Angleterre, tourna décidément les yeux vers les vallées du Mourghab et de l’ilériroud, et entreprit de réduire les Akbal-Tekkés. En 1881, elle ne désavouait plus la pensée de s’avancer dans la direction de Merv : le cabinet de Saint-Pétersbourg faisait déclarer au cabinet de Londres « qu’il n’avait pas le désir de pousser les opérations militaires jusqu’à Merv, mais qu’au cas où il s’y trouverait contraint il n’avait certainement pas en vue une occupation permanente, et que les troupes russes seraient retirées