L’après-midi, nous visitons la ferme qui dépend directement de la résidence épiscopale, die Œkonomie, comme on l’appelle en allemand. Le mot est juste. Comme le montrent les Économiques de Xénophon, les Grecs entendaient principalement par ce mot l’administration d’un fonds rural. L’intendant, qui est aussi un prêtre, me donne quelques détails : « Les terres de l’évêché, dit-il, mesurent encore 27,000 jochs de 57 ares 55 centiares, dont 19,000 en bois, 200 en vignes et le reste en culture. Les contributions sont énormes : elles montent à 32,000 florins[1]. Autrefois, ce domaine était beaucoup plus étendu ; mais, après 1848, lors de l’émancipation des paysans à qui on a attribué, en propriété, une partie du sol qu’ils cultivaient comme tenanciers à corvée, l’évêque a donné l’ordre de faire le partage de la façon la plus avantageuse pour les cultivateurs. En réalité, les conditions de culture sont peu favorables ici. La main-d’œuvre est chère, nous payons un journalier 1 florin 1/2, et le prix de nos produits est peu élevé, car il est grevé de frais de transport énormes jusqu’aux marchés consommateurs. Chez vous c’est l’opposé. La terre, chère chez vous, est à bas prix ici. Nous vendons nos chevaux de la race de Lipitça environ 1,000 florins ; un bel étalon vaut 1,400 à 1,500 florins, une bonne vache 100 florins, un porc de trois mois 9 florins. La terre se loue 6 à 7 florins le joch. Mais le domaine épiscopal est presque complètement exploité en régie. Les paysans, ayant tous des terres et peu de capitaux, ne sont guère disposés à louer. Il faudrait concéder nos fermes aux juifs, qui ne nous donneraient pas ce que nous obtenons par le faire-valoir direct. » — L’évêque intervient : « Ne disons pas de mal des juifs, ce sont eux qui achètent tous mes produits et à de bons prix. J’ai voulu vendre aux marchands chrétiens ; je recevais le tiers ou le quart en moins. Comme j’emploie mon revenu à des œuvres utiles, je ne puis faire à celles-ci un tort aussi considérable pour obéir à un préjugé. J’ai construit un moulin à vapeur pour moudre mon grain sans être à la merci des meuniers israélites, mais je dois avouer que ces messieurs s’y entendent mieux que nous. » — On m’a dit depuis que le revenu de l’évêché de Djakovo s’élève, bon an mal an, à 150,000 florins. A nos yeux, c’est beaucoup, mais c’est peu en comparaison des revenus de l’évêque d’Agram qui montent à 250,000 florins ou de ceux de l’évêque de Gran, primat de Hongrie, qui dépassent 500,000 florins.
Les bâtimens de la ferme ont des murs très épais, de façon à pouvoir résister aux incursions des Turcs, qui occupaient naguère encore l’autre bord de la Save à dix lieues d’ici. L’évêque me
- ↑ Le florin autrichien argent vaut au pair 2 fr. 50 ; mais avec le cours forcé du papier-monnaie, sa valeur varie ebaquo jour entre 2 fr. 10 et 2 fr. 15.