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montre sa vacherie, « sa suisserie, » Schweizerei, comme il l’appelle. C’est une innovation. Il a fait venir des vaches de race suisse, qui, bien nourries à l’étable, donnent beaucoup de lait et de beurre. Je me permets de dire que c’est de ce côté que devraient se tourner ici les efforts de l’agronome : « Le prix du froment baisse, celui du beurre et de la viande reste toujours très élevé. La terre ici se couvre spontanément d’une herbe très nourrissante. Vous pourriez facilement, grâce aux chemins de fer, expédier sur nos marchés occidentaux le produit de vos étables. Vous avez des légions de porcs dans vos forêts. Imitez les Américains ; améliorez la race, engraissez avec du maïs qui vient ici comme nulle part ailleurs, et envoyez-nous des jambons et du lard. On ne les repoussera pas sous prétexte de trichines. »

Nous allons visiter, à deux lieues de Djakovo, le grand parc aux daims. Deux victorias, attelées chacune de quatre chevaux gris, nous y conduisent. Je me trouve avec l’évêque. il me fait admirer sa belle allée de peupliers d’Italie : « J’aime cet arbre, dit-il, non-seulement parce qu’il me rappelle un pays qui m’est cher, mais parce qu’il est, à mes yeux, un indice de civilisation. Quiconque le plante est mû par un sentiment esthétique. Apprécier le beau dans la nature, puis dans l’art, est un grand élément de culture. » — Nous causons de la question politico-religieuse. Sachant combien ce sujet est délicat et peut-être pénible pour lui, je ne fais que l’effleurer. Je lui demande comment il lui avait été donné au concile de parler le latin de façon à émerveiller la haute et docte assemblée et à mériter l’éloge qu’elle lui accorda d’être le primus orator christionitatis. « Je l’ai parlé avec facilité, me répond-il, et rien de plus. Autrefois j’ai enseigné en latin, comme professeur de théologie. Pour éviter les rivalités des langues nationales, le latin était notre langue officielle jusqu’en 1848. En me rendant au concile, j’ai relu mon Cicéron, et ainsi les expressions latines, pour exprimer ma pensée, se présentaient à mon esprit, avec une abondance dont j’ai été moi-même très surpris. Le fait est que le latin est encore la langue où je dis le plus clairement ce que je veux dire. »

Strossmayer a fini, dit-on, par accepter le nouveau dogme de l’infaillibilité papale, qu’il avait combattu à Rome avec tant d’éloquence ; mais il parle avec une égale bienveillance de Dupanloup qui s’est soumis, et de Dollinger qui résiste encore. — « Quand un homme, dit-il, obéit à sa conscience et au devoir, en sacrifiant ses intérêts temporels et en manifestant ainsi la supériorité de la nature humaine, nous ne pouvons que nous incliner. Il appartient à Dieu seul de prononcer le jugement final. » — Il exprime aussi la plus vive sympathie pour lord Acton, qui a fait avec lui la campagne