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anti-infaillibiliste. « Il était avec nous à Rome, dit-il. J’ai vu de près les angoisses de cette noble âme, au moment où les décisions du concile étaient en balance. Nul peut-être ne connaît plus à fond l’histoire ecclésiastique ; c’est un père de l’église. » — J’avais rencontré lord Acton à Menton, en janvier 1879, et j’avais été, en effet, confondu de sa prodigieuse érudition et de son aptitude à tout lire. Ainsi, quoiqu’il ne s’occupât qu’en passant d’économie politique, je trouvai sur sa table, lus et annotés, les principaux ouvrages publiés sur cette matière en français, en anglais, en allemand et en italien. Lord Acton est certes le plus instruit et le plus éminent des catholiques libéraux anglais, mais sa position m’a paru singulièrement difficile et même douloureuse.

Je ne voulus pas demander à l’évêque ce qu’il pensait du pouvoir temporel, mais il m’a semblé qu’il ne le regardait nullement comme indispensable à la mission spirituelle de son église. « Les ennemis de la papauté, dit-il, ont voulu lui porter un coup mortel en lui enlevant ses états. Ils se sont trompés. Plus l’homme est dégagé des intérêts matériels, plus il est libre et puissant. On a dit que le pape espère qu’une guerre étrangère lui rendra son royaume. N’en croyez rien : n’est-il pas le successeur de Celui qui a dit : Mon royaume n’est pas de ce monde. Il ne peut vouloir ni de Rome, ni du monde entier, s’il doit l’acheter au prix du sang. »

Nous arrivons au parc aux daims. C’est une partie de la forêt antique, soustraite à la hache des défricheurs et des marchands de bois ; elle est entourée de hautes palissades pour la défendre des loups, qui sont encore très nombreux dans cette contrée. Les grands chênes y réunissent en dôme leurs ramures puissantes, semblables à des arceaux de cathédrale. Dans les clairières vertes passent les daims, qui vont boire à la source cachée sous les grandes feuilles des tussilages. L’homme respecte ce sanctuaire, où la nature apparaît dans sa majesté et dans sa grâce primitives. Tandis que nous y errons à l’aventure, à l’ombre des grands arbres, l’évêque me dit : « L’homme que je désire le plus rencontrer, c’est Gladstone. Nous avons à plusieurs reprises échangé des lettres. Il souhaite le succès de l’œuvre que je poursuis ici, mais je n’ai jamais eu le temps d’aller jusqu’en Angleterre. Ce que j’admire et vénère en Gladstone, c’est que, dans toute sa politique, il est guidé par l’amour de l’humanité et de la justice, par le respect du droit, même chez les faibles. Quand il a bravé l’opinion de l’Angleterre, toujours favorable aux Turcs, pour défendre, avec la plus entraînante éloquence, la cause de nos pauvres frères de Bulgarie, nous l’avons béni du fond du cœur. Cette politique est celle que dicte le christianisme. Gladstone est un vrai chrétien. Oh ! si tous les ministres l’étaient,