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Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 69.djvu/841

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pas le droit de demander le partage du patrimoine, ni d’en vendre ou d’en hypothéquer une part indivise. Au sein de ces communautés de famille, le droit de succession n’existe pas plus que dans les communautés religieuses. À la mort du père ou de la mère, les enfans n’héritent pas, sauf de quelques objets mobiliers. Ils continuent à avoir leur part des produits du domaine collectif, mais en vertu de leur droit individuel et comme membre de la famille perpétuelle. Autrefois, rien ne pouvait détruire la zadruga, sauf la mort de tous ceux qui en faisaient partie. La fille qui se mûrie reçoit une dot ; mais elle ne peut réclamer une part du bien commun. Celui qui quitte sans esprit de retour perd ses droits. L’administration, tant pour les affaires intérieures que pour les relations extérieures, est confiée à un chef élu, qui est ordinairement le plus âgé ou le plus capable. On l’appelle gospodar, seigneur, ou starechina, l’ancien. Le ménage est dirigé par une matrone, investie d’une autorité despotique pour ce qui la concerne : c’est la domatchika. Le starechina règle l’ordre des travaux agricoles, vend et achète ; il remplit exactement le rôle du directeur d’une société anonyme, ou plutôt encore d’une société corporative ; car les zadrugas sont de tout point des sociétés corporatives agricoles, ayant pour lien, au lieu de l’intérêt pécuniaire, les coutumes séculaires et les affections de famille.

La communauté de famille a existé dans le monde entier, aux époques primitives. C’est le γένος (genos) des Grecs, gens romaine, la cognatio des Germains dont parle César (De Bello Gallico, VI, 22) ; c’est encore le lignage des communes du moyen âge. Ce sont des zadrugas qui ont bâti, en Amérique, ces constructions colossales divisées en cellules, qu’on nomme pueblos et qui sont semblables aux alvéoles des ruches d’abeilles. Les communautés de famille ont existé jusqu’à la révolution dans tout le centre de la France, avec des caractères juridiques identiques à ceux qu’on rencontre aujourd’hui chez les Slaves dit sud. Dans les zadrugas françaises, le starechina s’appelait le mayor, le maistre de communauté ou le chef du « chanteau, » c’est-à-dire du pain. Nous arrivons au village de Siroko-Polje. Comme c’est dimanche, hommes et femmes portent leur costume des jours de fêtes. Pendant la semaine, les femmes ont pour tout vêtement une longue chemise, brodée aux manches et à l’ouverture du cou, avec un tablier de couleurs vives, et sur la tête un mouchoir rouge ou des fleurs. Elles marchent pieds nus ; même quand elles vont aux champs ou qu’elles gardent les troupeaux, elles fixent dans la ceinture la tige de la quenouille et elles filent la laine ou l’étoupe de lin ou de chanvre, en faisant tourner entre les doigts le fil auquel est suspendu le fuseau. Elles préparent ainsi la chaîne et la trame du linge, des étoffes et des tapis qu’elles tissent elles-mêmes l’hiver. Leur chemise est en très grosse toile de chanvre. Elle