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L'ARMEE ET LA DEMOCRATIE

I.
LE SERVICE DE TROIS ANS.

Il y a pour une nation un malheur plus grand que d’être vaincue, c’est de se tromper sur les causes de sa défaite. La lutte de 1870 sembla livrée non-seulement entre deux races d’hommes, mais entre deux systèmes de guerre. Pour la soutenir, la France avait levé ses soldats, l’Allemagne s’était levée elle-même. D’un côté, on avait vu des troupes, les plus renommées du monde, s’anéantir dans une double capitulation, le pays laissé par elles sans défense opposer en vain son courage à l’envahisseur, la destinée d’un grand peuple enfin, toujours surprise par une force supérieure et mal défendue par des efforts convulsifs, tomber en un abaissement que n’espérait pas la haine de ses ennemis. De l’autre côté, un million d’hommes subitement rassemblés, partout présens, tous semblables et toujours égaux à eux-mêmes, courageux dans les batailles, rapides dans les marches, si réguliers dans l’accomplissement des tâches les plus difficiles qu’elles paraissaient aisées, ayant leurs victoires pour seules haltes dans ce mouvement infatigable et sûr qui les conduisit en une campagne au cœur du pays ennemi, avait déployé la puissance non d’une armée qui manœuvre, mais d’un peuple qui se déplace, comme si après quinze siècles recommençait à couler le flot des migrations germaniques.