Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 69.djvu/849

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

concernant les saints Cyrille et Méthode. « O Slaves, mes frères, vous êtes évidemment destinés à accomplir de grandes choses en Asie et en Europe. Vous êtes appelés aussi à régénérer par votre influence les sociétés de l’Occident, où le sentiment moral s’affaiblit, à leur communiquer plus de cœur, plus de charité, plus de foi, et plus d’amour pour la justice, pour la vertu et pour la paix. Mais vous ne parviendrez à remplir cette mission, à l’avantage des autres peuples et de vous-même, vous ne mettrez fin aux dissentimens qui vous divisent entre vous que si vous vous réconciliez avec l’église occidentale, en concluant un accord avec elle. » Cette dernière phrase provoqua des répliques très vives, dont on trouvera des échantillons dans le Messager chrétien, que publie en serbe le pope Alexa Ilitch (livraison de juillet 1881). L’évêque du rite orthodoxe oriental Stefan, de Zara, répondit à Strossmayer dans sa lettre pastorale datée de la Pentecôte 1881. « Que cherchent, dit-il, parmi notre peuple orthodoxe, ces gens qui s’adressent à lui sans y être appelés ? Le plus connu d’entre eux nous fait savoir « que le saint-père le pape n’exclut pas de son amour ses frères de l’église d’Orient et qu’il désire de tout son cœur l’unité dans la foi, qui leur assurera la force et la vraie liberté » et il souhaite « qu’à l’occasion de la canonisation des saints Cyrille et Méthode, un grand nombre d’entre eux aille à Rome se prosterner aux pieds du pape, pour lui présenter leurs remercîmens. » L’évêque de Zara continue en s’élevant vivement contre les prétentions de l’église de Rome, et certes il est dans son droit, mais il doit admettre qu’un évêque catholique s’efforce de ramener à ce qu’il considère comme la vérité des frères, d’après lui, égarés. La propagande doit être permise, pourvu que la tolérance et la charité n’aient pas à en souffrir ; toutefois ces rivalités religieuses sont très regrettables et elles peuvent longtemps mettre obstacle à l’union des Jougo-Slaves. Dans la lettre que m’écrivit lord Edmond Fitz-Maurice, au moment où je partis pour l’Orient, il résume la situation en un mot : « L’avenir des Slaves méridionaux dépend en grande partie de la question de savoir si le sentiment national l’emportera chez eux sur les différences en fait de religion, et la solution de ce problème est, pour une large part, entre les mains du célèbre évêque de Djakovo. » Je ne crois pas qu’il soit possible ni désirable que sa propagande en faveur de Rome réussisse ; mais l’œuvre à laquelle il a consacré sa vie, la reconstitution de la nationalité croate, est désormais assez forte pour résister à toutes les attaques et à toutes les épreuves.


Emile de Laveleye.