Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 69.djvu/870

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

armées sont nécessaires. La dernière expérience faite par la France prouve que, pour réduire telle puissance naguère tenue pour quantité négligeable, 60,000 hommes auraient trouvé leur emploi. Une nation qui peut avoir à combattre sur plusieurs points à la fois ne saurait se contenter de moins pour son année expéditionnaire. La France, à l’heure présente, occupe à la garde de ses possessions 35,000 hommes formant l’armée d’Afrique et 25,000 formant les troupes de la marine. Ces 60,000 hommes n’en peuvent, sous peine de s’épuiser, fournir plus de 20,000 pour une campagne. Pour compléter l’effectif nécessaire, il faut ajouter 40,000 hommes. Les troupes coloniales atteindront ainsi le chiffre de 100,000.

Elles ne peuvent être tirées du contingent, comme aujourd’hui l’infanterie de marine. Déjà l’on tient pour injuste le hasard du sort qui voue quelques milliers d’hommes aux atteintes des climats meurtriers. Si, par surcroît, ils étaient seuls exposés aux dangers des expéditions lointaines, l’inégalité de charges entre eux et les soldats de l’armée métropolitaine deviendrait révoltante. Dans l’armée coloniale, l’homme ne paie pas la dette ordinaire que tous doivent à la patrie ; destiné à des épreuves insolites, il ne les doit pas subir contre sa volonté. Ce serait une illusion d’espérer cette volonté chez beaucoup de conscrits. Il s’en trouvera pour préférer la vie d’aventures à la monotonie des casernes, mais peu. Sous les armes mêmes un peuple cherche à satisfaire sa vocation naturelle : s’il n’a pas l’habitude d’étendre sa pensée par-delà les frontières, ignore l’émigration et vit d’intérêts et d’affections proches, ses soldats seront retenus par leurs familles, leur carrière à venir, leurs rêves mêmes sur le sol natal. Il faudrait, pour les en détacher, l’attrait d’un avantage pécuniaire. Même faible, il déciderait sans doute un certain nombre de conscrits à accomplir, dans l’armée coloniale, le temps de service qu’ils doivent à l’état. Mais en trois années, s’il leur fallait aller aux colonies et en être revenus, il ne leur manquerait que le loisir d’y séjourner, cette armée, sans cesse transportée, s’épuiserait à relever ses garnisons, elle n’aurait pas les vieux soldats dont elle a besoin. Pour donner à ces troupes la fixité qui les acclimate, les discipline, et éviter l’énorme dépense que coûtent leurs déplacemens, il faut les composer d’hommes attachés eux-mêmes pour de longues années au-drapeau. Les libérés du service actif peuvent seuls les fournir. La dépense faite pour les attirer est, tout compté, moindre ; seule, elle donne des soldats déjà formés et qui manifestent une vocation pour la vie militaire.

L’effectif de l’armée coloniale ne se confondra donc pas avec l’effectif fourni par le contingent. Sur les 100,000 hommes qui la doivent composer, 15,000 seulement existent dès aujourd’hui dans