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Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 69.djvu/885

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et de poésie, de finesse comique et de grâce, de vérité aussi. Pris un à un, les traits d’Armande Béjart étaient défectueux, mais l’ensemble respirait un charme souverain. Vers le milieu du XVIIIe siècle, une comédienne qui l’avait vue encore jeune, Mlle Poisson, disait d’elle, en ayant soin de rappeler que son portrait était dans le Bourgeois gentilhomme : « Elle avoit la taille médiocre, mais un air engageant, quoique avec de très petits yeux, une bouche fort grande et fort plate, mais faisant tout avec grâce. » Grandval le père s’accorde avec Mlle Poisson : « Sans être belle, elle étoit piquante et capable d’inspirer une grande passion. » Il n’est pas jusqu’à l’auteur de la Fameuse Comédienne, auquel le même aveu n’échappe, enveloppé de toutes sortes de restrictions. Elle n’avait, dit-il, « aucun trait de beauté ; » mais il confesse que sa physionomie et ses manières la rendaient « très aimable au goût de bien des gens, » que, surtout, elle était « fort touchante quand elle vouloit plaire. » Il nous apprend qu’elle aimait « extrêmement » la parure, et Mlle Poisson ajoute qu’elle « se mettoit dans un goût extraordinaire et d’une manière presque toujours opposée à la mode du temps ; » ce qui l’étonné : elle n’a pas vu qu’Armande possédait cet art piquant et rare de s’habiller elle-même, en dehors et en dépit de la mode, et de donner à sa beauté ce ragoût d’étrangeté dont ceux-là mêmes qui le blâment ou le méconnaissent ne peuvent s’empêcher de subir l’effet. Les frères Parfaict rapportent l’avis d’un meilleur juge en ce genre : « Personne n’a mieux su se mettre à l’air de son visage par l’arrangement de sa coiffure, et plus noblement par l’ajustement de son habit. » Non-seulement elle ne suivait pas servilement la mode, mais elle la corrigeait quelquefois avec une telle sûreté de goût qu’elle la faisait et l’imposait. La toilette des femmes sous Louis XIV était majestueuse, mais un peu lourde ; elle cachait sous des plis trop amples la grâce des formes. Armande réagit avec succès contre ce caractère peu esthétique. Le Mercure galant de 1673 disait : « Tous les manteaux de femmes que l’on fait présentement ne sont plus plissés ; ils sont tout unis sur le corps, de manière que la taille paraît plus belle ; ils ont été inventés par Mlle Molière. » Est-il téméraire de conclure de ce renseignement qu’Armande avait la taille bien faite ?

La comédienne fut vite hors de pair et fit encore valoir la femme. D’abord, Armande était une Béjart, c’est-à-dire qu’elle avait dans le sang la passion et l’instinct du théâtre. Outre sa beauté, elle y apportait « une voix extrêmement jolie, » elle « chantoit avec un grand goût le français et l’italien, elle dansoit à ravir. » Molière, nous apprend de Visé, se vantait « de faire jouer jusques à des fagots ; » on devine quel maître eut en lui une élève si bien douée