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Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 69.djvu/900

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comment se seraient établies ses relations avec la femme de Molière : « Comme il étoit libéral et que la demoiselle aimoit la dépense, la chose fut bientôt conclue. Ils convinrent qu’il lui donneroit quatre pistoles par jour sans ses habits et les régals. L’abbé ne manquoit pas de lui envoyer tous les matins par un page le gage de leur traité et de l’aller voir toutes les après-midi. » Ce marché d’amour est commode et simple ; mais, outre que l’on sait par les contemporains les noms des principales amies de l’abbé et que Mlle Molière n’en est pas, il faut admettre, Molière et sa femme demeurant dans la même maison, ou bien que les allées et venues du page et de l’abbé ont passé inaperçues pour le mari, ou bien qu’il en a su le motif et les a tolérées : deux hypothèses également inadmissibles. Si maintenant nous consultons les dates, l’invraisemblance devient une impossibilité. Armande s’était mariée le 20 février 1662, et, le 10 janvier 1664, elle donnait un fils à Molière. Veut-on placer une intrigue galante entre ces deux époques ? Ce serait faire commencer son inconduite de bien bonne heure. Quant à l’abbé, il part, dès le mois de mars 1664, avec l’expédition organisée pour défendre la Hongrie contre les Turcs et meurt à Venise le 9 janvier 1666. Cela n’empêche point la Fameuse Comédienne de faire durer sa liaison avec Mlle Molière jusqu’après les représentations de la Princesse d’Elide, à Chambord ; or cette pièce ne fut jouée qu’après le départ de l’abbé, le 8 mai 1664, et à Versailles.

Une nouvelle et double aventure se serait greffée sur celle-là, Durant les représentations de la Princesse, « Armande devint folle du comte de Guiche, et le comte de Lauzun devint fou d’elle ; » irritée des dédains du premier, elle se jeta résolument à la tête du second. Ici encore se présentent une impossibilité et une invraisemblance. Éloigné de la cour depuis 1663, à la suite d’un petit complot contre Mlle de La Vallière, le comte de Guiche était ensuite parti pour la Pologne et se trouvait encore à Varsovie en mai 1664. Quant à Lauzun, on ne le trouve pas nommé parmi les personnages qui figuraient dans les fêtes où fut donnée la Princesse d’Élide ; plusieurs, cependant, étaient à la fois moins qualifiés et moins en vue que lui. En outre, tout plein à ce moment de sa passion pour Mme de Monaco, il était peu désireux, sans doute, de se prêter aux caprices d’une comédienne aussi bruyante et encombrante que l’Armande représentée dans la Fameuse Comédienne. Ainsi, la médisante ennemie a eu la main malheureuse ; entre les grands seigneurs célèbres à la cour par leurs aventures galantes, elle a choisi trois des plus connus, se disant que, dans la foule de leurs maîtresses, une de plus passerait sans difficulté ; mais elle savait mal ce monde-là et son ignorance l’a trahie.

Bien que l’abbé de Richelieu soit en route pour la Hongrie,