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la grande querelle qui précéda la séparation de 1666, elle déclara bien haut « qu’elle ne pouvoit plus souffrir un homme qui avoit toujours conservé des liaisons particulières avec la de Brie, qui demeurait dans leur maison et qui n’en étoit point sortie depuis leur mariage. » Elle exagérait sans doute un peu en précisant ainsi son grief ; Molière était alors trop épris de sa femme pour l’abandonner si tôt. Mais ne lui avait-il pas fourni lui-même cette triomphante réponse ? Et il paraît bien que, une fois rebuté, il acheva de lui donner raison en revenant à Mlle de Brie. C’était une maladresse, et ses amis ne le lui cachèrent pas. L’un d’eux, selon Grimarest, lui en faisait un jour le reproche, et, comme de raison, traitait fort mal Mlle de Brie ; elle n’avait, disait-il, ni vertu, ni esprit, ni beauté. Molière en convenait, mais en ajoutant : « Je suis accoutumé à ses défauts, et il faudrait que je prisse trop sur moi pour m’accommoder aux imperfections d’une autre ; je n’en ai ni le temps ni la patience. » Il y a bien des choses dans ce peu de mots : de la tristesse, de la résignation, le dédain amer de soi-même et d’autrui, peut-être aussi cette espèce d’inconscience qui résulte de certains états d’esprit et de certaines situations. Molière était un très grand homme, mais un homme, et qui avait ses faiblesses ; il serait puéril de les nier et de l’absoudre en tout et pour tout avec un parti-pris d’admiration. Comédien, sa profession admettait alors bien des licences, et il on prit sa part. Il ne faut donc pas chercher dans sa conduite, ou plutôt y mettre les yeux fermés une régularité bourgeoise qui n’y est pas et n’y saurait être. En l’espèce, il commit ou une faute ou une maladresse, les deux si l’on veut.

Faute ou maladresse, au surplus, la réconciliation n’en fut pas empêchée. L’auteur de la Fameuse Comédienne n’en parle pas : cela dérangerait sa thèse. Entre temps, le libelle place une nouvelle intrigue d’Armande. Durant les représentations de Psyché, au carnaval de 1671, elle se serait éprise d’une passion violente pour le très jeune Baron, qui faisait l’Amour, et ils auraient continué leur rôle hors du théâtre. Cette liaison n’est guère admissible ; non parce que Baron était tenu envers Molière par les devoirs d’une reconnaissance filiale : ce que l’on sait de cet insupportable fat, très dégagé de préjugés comme tous les dons Juans, permet de penser qu’une telle considération ne l’aurait pas retenu. Mais il était encore bien jeune : il avait à peine dix-sept ans et Armande n’était pas assez âgée elle-même pour rechercher les passions d’adolescens ; les Rosines ont passé la trentaine lorsqu’elles font chanter la romance aux Chérubins. De plus, il semble prouvé que Baron, traité par Molière avec la plus grande bonté, eut au contraire beaucoup à se