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LA PEINTURE
AU
SALON DE 1885

Si un critique d’art pouvait rendre la vie à un maître des siècles passés et le conduire au Salon de peinture de 1885, comme Dante a évoqué Virgile pour le conduire aux enfers, que cela serait intéressant et instructif ! Avec quelle avide curiosité on lirait sur le visage du maître d’autrefois les impressions multiples que feraient naître en lui les œuvres si diverses et parfois si contradictoires de l’école moderne ! Comme on noterait avec soin ses stupéfactions, ses approbations et plus souvent encore ses sourires ! Mais comprendrait-il bien tout d’abord ce qu’on lui mettrait sous les yeux ? Qu’on le suppose de Venise ou de Florence, coloriste ou dessinateur, lui serait-il possible de s’habituer vite à ces masses profondes de tableaux hétérogènes dont les auteurs se sont inspirés de tout et quelquefois même de la nature ? Aurait-il la compréhension bien nette de ce qui l’entourerait, lui l’homme austère et religieux à sa façon, qui est entré à l’atelier comme les dévots entrent à l’église, qui a regardé son maître, Raphaël ou Véronèse, comme une sorte de prêtre, comme le gardien vénéré de mystères augustes, et qui, toute sa vie, a conservé pieusement les saintes traditions d’un art local ? Ne se sentirait-il pas troublé, étourdi, anéanti, triste