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Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 69.djvu/928

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se dresse, prête à faire face aux envahisseurs et à défendre sa progéniture dans la folie du désespoir, seule et sans, armes contre la troupe hurlante et féroce. Ce groupe tout entier n’occupe qu’un coin de la vaste composition ; devant lui s’étendent les carreaux symétriques d’un pavage multicolore, uni, luisant, bien lavé, indifférent à la scène, joyeusement éclairé par le soleil. Des jouets d’enfans ont été, dans la fuite, abandonnés sur ces carreaux qui représentent tout ce qui reste dans cet intérieur de l’élégance tranquille de la veille. Ces carreaux s’étendent, pour le plaisir des yeux, jusqu’aux fenêtres, qui se brisent sous l’effort des assiégeans, et derrière les fenêtres, on aperçoit hideux, enragés, affamés, les Jacques ! C’est un tableau !

Comme dans l’Andromaque du même artiste, nous trouvons ici de véritables qualités de peintre, une entente de la composition, une puissance dans la conception, qui autorisent les plus sérieuses espérances ; aussi ne nous attarderons-nous pas à examiner la longueur de la jambe de tel personnage, qui pourrait bien, du genou à la cheville, mesurer plus d’un mètre et ne demanderons-nous pas à l’artiste si, pour obtenir un effet plus puissant, il n’a pas outre mesure écarté les deux groupes qui constituent le drame, pas plus que nous ne lui avons reproché autrefois d’avoir, dans Andromaque, traité un sujet grec et peint des sauvages. Ce sont là querelles de détails contre lesquelles le jeune peintre est défendu par ses remarquables qualités. La seule critique que nous voudrions faire cette fois est d’une tout autre portée et se rattache à l’étude rapide que nous avons essayé d’esquisser sur la situation de notre école.

Malgré quelques inexactitudes archéologiques, M. Rochegrosse, il y a deux ans, avait peint un tableau d’histoire dans lequel, à travers toutes les exubérances de la fougue, il n’était possible de découvrir rien de poncif, rien d’anecdotique. Nous demandons à M. Rochegrosse de rester fidèle à ses débuts et de se laisser guider, en conservant la manœuvre savante et hardie de son pinceau, par l’histoire sans condescendre jamais à prêter l’oreille aux faits divers. Que les jeunes hommes y prennent garde, il y a une place à prendre dans l’école classique : rester classique, mais ne pas demeurer étranger au mouvement moderne et se donner pour mission de le diriger. Un souffle puissant s’est élevé qui ne doit pas emporter l’école, mais auquel l’école ne peut être indifférente : l’art français est en train de se renouveler profondément. Les maîtres qui ne sont plus en état de prendre part à la réforme en commençant par celle de leurs œuvres s’y associent dans leurs écrits et lui font une place dans leur enseignement. Ce n’est pas en vain que Delacroix mort a été vengé des dénis de justice sous lesquels