Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 70.djvu/116

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

George Eliot, vers la vingtième année, appellera, en soulignant, « le devoir de trouver le bonheur. » Toutefois l’histoire de miss Evans resterait encore obscure si l’on ne suivait avec attention l’évolution religieuse des années d’apprentissage, par où se trahit le côté ondoyant de sa nature.


II

Sa mère la mit en pension à cinq ans, en 1824. A cinq ans, l’enfant est encore loin de l’âge révolutionnaire où il commencera à examiner les idées reçues en héritage. Mary Ann était anglicane, ainsi qu’il convenait à la fille de Robert Evans, tory et conservateur, qui, sans penser précisément du mal des dissidens, les classait avec les innovateurs en tout genre parmi « les personnes ayant une confiance mal fondée en soi-même[1]. » Vers huit ou neuf ans, elle changea de pension et tomba entre les mains d’une maîtresse évangélique. Elle était dès lors ce qu’elle sera toujours, en vraie femme, un a caméléon, » prompt à subir les influences au point d’en « perdre son identité. (Lettre du 28 août 1849.) » Elle devint donc évangélique. A douze ans, elle changea encore et fut envoyée dans un établissement de la ville de Coventry, chez les demoiselles Franklin, baptistes, qui la convertirent à leurs idées. L’une des demoiselles Franklin mérite d’être présentée au lecteur. Elle se nommait miss Rébecca et réalisait le type légendaire de la maîtresse de pension de province, pénétrée de l’importance de ses fonctions. Son écriture était célèbre dans Coventry par sa beauté. Elle parlait comme un livre, et aucun événement au monde ne lui aurait fait oublier de s’exprimer correctement et avec élégance. Un jour qu’une personne de sa famille se mourait, une servante vint aux nouvelles. Miss Rébecca la fit attendre jusqu’à ce qu’elle eût composé une belle phrase appropriée à la triste circonstance. Excellente personne du reste, instruite et distinguée, qui donna un bon fonds d’instruction à la jeune Evans.

Elle lui enseigna tout d’abord à s’exprimer, elle aussi, avec correction et élégance. Il y avait fort à faire de ce côté. Mary Ann avait le parler populaire de sa famille, et il s’agissait de réformer, non-seulement les locutions et la syntaxe, mais les intonations, chose infiniment plus difficile et où échoue souvent le parvenu. L’élève entreprit de changer sa voix rustique, et elle y réussit.

  1. Voir dans Theophrastus Such, le chapitre intitulé : Regard en arrière. Il contient plusieurs fragmens autobiographiques.