Non-seulement elle apprit à parler comme un livre, défaut qui s’atténua avec les années sans s’effacer, mais elle se donna une voix d’une douceur remarquable.
Le baptisme ne l’empêcha point de traverser les phases morales, désagréables ou niaises, auxquelles peu de jeunes filles échappent, car l’esprit a aussi son âge ingrat. Elle eut sa période de sotte vanité, où elle souffrait de la bassesse de sa naissance et de la médiocrité de sa fortune ; sa période d’amour-propre exalté, où elle était la proie d’un désir âpre de succès ; elle eut même sa période de coquetterie, bien qu’elle n’eut ni désenlaidi, ni rajeuni : un étranger la prit, à treize ans, pour une des respectables misses Franklin. La coquetterie se noya dans l’antisurnaturalisme, qui succéda au baptisme, à moins qu’il ne se fût greffé dessus, et dont il suffira de dire qu’il impose à ses adeptes un bonnet particulier, dit bonnet antisurnaturel, et dont le but n’est pas de les embellir. Une ancienne camarade de miss Evans s’est toujours rappelé combien Mary Ann était laide avec cette pieuse coiffure.
Elle entrait alors dans son moment de grande ferveur. George Eliot était née avec le sentiment religieux, don indépendant des idées théologiques ou philosophiques que l’éducation et la réflexion apportent à l’homme. On peut être croyant et ne pas l’avoir ; et il est curieux, d’autre part, à quel point le sentiment religieux peut se passer de toute croyance au dogme. Il fut le grand secours de Mary Ann Evans contre les dégoûts de Griff, car cette femme qui, la plume à la main et pour les autres, a eu tant de fantaisie dans l’imagination, n’a jamais eu pour son propre compte aucun sens du pittoresque de la vie. Dès qu’il s’agissait d’elle-même, elle perdait le don de cette ironie légère qui allège tous les fardeaux. Chaque fois qu’elle a été victime des disparates grotesques ou singulières dont l’existence humaine est si richement dotée, elle a souffert soit qu’il lui fallût interrompre ses savans travaux, poser Bacon ou Strauss, pour aller battre le beurre, soit qu’elle fût devenue, dans une situation équivoque, le grand écrivain moral de l’Angleterre.
A l’époque où nous en sommes, miss Evans édifiait la pension de Coventry par sa piété. Les maîtres s’émerveillaient de sa facilité. Les élèves avaient presque peur de cette étrange fille gauche et grave, qui ne leur parlait pas, se tenait à part et avait des crises nerveuses de larmes. Elle n’avait pas d’amies. On admira encore plus miss Evans, lorsqu’on la vit organiser des meetings de prières, devenant ainsi un véritable sujet de gloire pour la maison Franklin. En 1838 et encore dans la même veine dévotieuse, elle écrivait : « On m’a dit autrefois qu’il n’y avait rien en moi qui dût m’empêcher de devenir d’une sainteté aussi éminente que saint