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lui tout le monde extérieur ; il s’y absorbera comme le mystique enlevé à lui-même se perd dans l’objet de son extase. Mais il est rare qu’une image soit seule, qu’une idée soit ce qu’on appelle une idée fixe : n’oublions pas qu’une foule d’autres images luttent pour la vie et exercent leur pression sur l’image actuellement dominante, en déployant dans la lutte des intensités variables.

Non-seulement les images se distinguent entre elles et se classent spontanément selon les divers degrés de leur force, mais encore elles se distinguent par les diverses directions de cette force. C’est là une seconde classification spontanée. Je remue mon bras : le mouvement part du centre et va vers la superficie ; vous remuez mon bras : le mouvement vient de la superficie et va vers le centre. Il y a un contraste intérieur entre la force exercée par moi et la force subie par moi, entre le volontaire et l’involontaire. Newton avait la faculté d’évoquer devant ses yeux l’image du soleil, même dans l’obscurité, en faisant simplement un certain effort visuel, à peu près comme quelqu’un qui essaie attentivement de distinguer un objet difficile à voir ; mais Newton savait parfaitement qu’il était comme le créateur de ce soleil imaginaire. De même, Goethe pouvait évoquer à volonté l’image d’une fleur et lui faire subir devant son esprit une série de transformations ; là encore le volontaire se distinguait de l’involontaire. Shelley, au contraire, fut au moins une fois victime des sollicitations produites par ses idées, qui finissaient par agir en lui comme des forces indépendantes de son vouloir. L’ordre même des représentations, à l’état normal, est tantôt senti comme notre œuvre, tantôt comme l’œuvre d’une force étrangère. Dans les fantaisies de la pure imagination, comme la rêverie ou la composition poétique, l’ordre des images ne nous est pas imposé, il est voulu et plus ou moins arbitraire ; dans la perception, il est absolument involontaire ; je ne puis déplacer la perception du milieu de ses circonstances environnantes. Il y a donc en nous un perpétuel contraste entre l’activité et la passivité, entre la force centrifuge ou d’origine volontaire et la force centripète ou d’origine involontaire.

Au reste, ces deux directions de la force ne vont jamais en nous l’une sans l’autre : toutes les sensations renaissantes, comme l’image d’un serpent qui a failli me mordre, sont accompagnées de mouvemens renaissans, comme un frisson instinctif, d’actes de volonté renaissans, comme un geste de défense. C’est là une des plus importantes acquisitions de la psychologie contemporaine et une preuve à l’appui des idées-forces. Cette loi mentale est la contrepartie de la loi des réflexes dans l’organisme, qui elle-même s’explique par la conservation de l’énergie dans l’univers. Point de