Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 70.djvu/154

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

spéculations métaphysiques pour nous invérifiables ; au point de vue de la science, le temps est une représentation exacte et objective de l’ordre réel des phénomènes. Ce n’est sans doute pas un être réel, mais c’est une loi réelle : les calculs dans lesquels nous faisons entrer le temps comme élément se vérifient dans l’astronomie, dans la géologie, dans la physique et dans toutes les sciences. La question de savoir s’il y a sous les apparences du temps une existence éternelle rentre dans la métaphysique. Remarquons seulement que le temps, sous le rapport de l’objectivité, parait supérieur à l’espace. A la rigueur, on peut suppléer à l’espace par le temps, se figurer un monde composé de plusieurs séries simultanées d’états de conscience qui se développeraient réellement dans le temps et en apparence dans l’espace. Aussi les philosophes, principalement les kantiens, ont-ils tort, à notre avis, de mettre toujours ensemble sur la même ligne le temps et l’espace, comme si ce qui s’applique à l’un s’appliquait par cela même à l’autre. Le temps seul est la forme essentielle de la mémoire, et la mémoire, étant en dernière analyse la conscience de l’appétit, de l’effort, de la volonté motrice, est fondamentale comme la vie même, car la vie n’est que l’appétit tendant à sa satisfaction par une série de degrés et de momens.


III

Quand une image ressuscite dans l’esprit, nous avons vu qu’elle est l’objet d’une série de classifications qui lui donnent peu à peu une valeur et une place déterminées : nous classons d’abord cette image dans la sphère de l’intensité ou de la force, en lui donnant une place parmi ces sensations faibles qui sont les échos des sensations fortes ; puis nous classons cette même image dans l’ordre linéaire du temps, dont fut inséparable à l’origine la région de l’espace. Par là le souvenir est-il achevé et y a-t-il vraiment reconnaissance ? Une dernière condition n’est-elle pas nécessaire : apercevoir la ressemblance de l’image avec l’objet ? Les partisans du mécanisme, comme MM. Spencer, Maudsley et Ribot, se hâtent d’identifier la reproduction mécanique des images semblables avec la reconnaissance finale de leur similitude. L’association des semblables et la reconnaissance des souvenirs, dit M. Spencer, sont « un seul et même acte. » M. Ribot suit ici M. Spencer et va encore plus loin : il ne place même pas la reconnaissance parmi les opérations du souvenir et se contente de dire que, puisqu’on a connu les choses une première fois, il n’est pas étonnant qu’on les reconnaisse une seconde. Cette explication n’est-elle point trop