part, l’habitude est une adaptation au milieu, selon la grande loi de sélection universelle ; c’est l’adaptation de la puissance à la résistance, de l’activité à son objet. Reconnaître, c’est donc avant tout avoir conscience d’agir avec une moindre résistance.
Pour que l’habitude ainsi formée devienne consciente de soi, il faut que nous puissions apercevoir tout ensemble la différence et la ressemblance du nouveau avec l’ancien, de l’inaccoutumé avec le familier. Reconnaître, c’est donc saisir à la fois des différences et des ressemblances, saisir des rapports, comparer. Le problème de la reconnaissance nous fait ainsi toucher aux dernières profondeurs de la conscience et aux actes les plus simples de l’esprit, qui, selon M. Spencer et toute l’école anglaise, sont précisément « la perception de la différence et la perception de la ressemblance. » Ici encore, nous allons voir qu’on s’en tient trop au point de vue géométrique et statique, au lieu d’introduire le point de vue dynamique de l’activité motrice, de l’effort, de l’appétit et de la volonté.
Il ne suffit pas, comme semble le croire M. Spencer, que deux états de conscience différens en fait se produisent l’un après l’autre pour qu’on ait conscience de leur différence. De même que la succession brute de deux perceptions, comme le noir et le blanc, n’est pas la perception de la succession, de même la différence de deux perceptions, comme la lumière et les ténèbres, n’est pas la perception de cette différence. Il y a ici un premier point où l’école anglaise vient s’arrêter, une première. limite des explications qu’elle peut fournir : elle montre bien qu’il y a un changement intérieur qui succède à un autre, un mouvement extérieur qui succède à un autre ; mais, si on admet avec elle que la conscience, « étant toute sérielle, » selon le mot de M. Spencer, ne peut saisir qu’un état à la fois, toute comparaison et toute synthèse des états différens sera impossible dans le souvenir : quand le second état existera, le premier sera entièrement évanoui. Chaque état sera toujours premier, toujours nouveau, et le sentiment de familiarité sera impossible. Il faut donc un certain lien qui unisse les deux termes, il faut dans la mémoire une certaine synthèse simultanée des différences successives. M. Spencer lui-même finit par reconnaître que « le changement incessant n’est pas la seule chose nécessaire pour constituer une conscience et une mémoire. » On peut très bien concevoir, ajoute-t-il, un être sensible qui serait « le sujet de changemens perpétuels et infiniment variés, » comme un miroir devant lequel passeraient les choses les plus disparates, sans qu’il se produisit pourtant rien de semblable à ce que nous nommons une conscience, à plus forte raison une mémoire. A la bonne heure !