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degré aussi faible que possible, mais réel. Parfois, au contraire, la familiarité est si grande que le présent fait renaître le passé avec tous ses détails et toutes ses circonstances :


Les voilà, ces buissons où toute ma jeunesse
Comme un essaim d’oiseaux chante au bruit de mes pas.


Les psychologues, même ceux de l’école anglaise, ne nous semblent pas avoir donné une suffisante explication du sentiment de familiarité, par conséquent de la reconnaissance, qui le présuppose. Selon nous, il eût fallu d’abord chercher l’explication dans ce même principe qui explique et la conservation et le rappel des idées : l’habitude. Le connu, le familier, c’est ordinairement l’habituel ; comment donc distinguons-nous l’habituel de ce qui est pour ainsi dire neuf et original ? Est-il nécessaire ici, avec les spiritualistes, de faire intervenir le « pur esprit » comparant, du fond de son unité, les divers termes que le temps apporte et remporte ? Est-ce à l’aide du pur esprit qu’un chien reconnaît son maître et les visages familiers et la maison familière ? Nous ne le pensons pas. A notre avis, la familiarité se ramène à la facilité de représentation, conséquemment à une diminution de résistance et d’effort. Cette diminution supprime le choc intérieur, la transition brusque, le sentiment de la surprise dont parle M. Bain. Notre activité se sent couler dans un lit tout fait ; notre pensée rencontre un cadre tout préparé à la recevoir : l’image présente, et en ce sens nouvelle, se trouve remplir une sorte de vide intérieur dont nous avions le sentiment, et c’est ce sentiment vague que nous appelons attente. Cherchez à vous souvenir d’un nom, d’un vers oublié, vous sentirez en vous cette sorte de vide qui est doué d’un pouvoir d’attraction comme les tournans d’une rivière. En retrouvant ensuite le nom ou le vers, vous sentirez une adaptation intérieure à votre attente, une facilité de représentation qui vous révèle une familiarité plus ou moins grande avec l’objet. Quand nous soulevons un fardeau, nous sommes obligés d’accommoder notre force à la résistance et nous avons conscience de cette accommodation ; nous apprécions le fardeau par l’intensité de notre sentiment d’effort ; un sentiment analogue nous permet d’apprécier, dans le cours de nos représentations, le facile, le familier, le connu et le reconnu. Ici, le poids soulevé une première fois se trouve moins lourd la seconde : l’accommodation se trouve à moitié faite. C’est l’habitude, tantôt à l’état naissant, tantôt plus ou moins complète, qui se révèle à elle-même dans la conscience par un sentiment spécial, et ce sentiment spécial fait le fond de la reconnaissance. D’autre