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débutans qui pourront devenir des maîtres. Il en est un grand nombre au Salon et, pour n’en citer qu’un exemple, nous n’avions pas encore remarqué au catalogue le nom de Mlle Manuela, qui expose deux portraits en marbre très personnels, pleins d’expression et de vie.

Mais comment ne pas s’extasier sur le nombre véritablement inquiétant des portraits reçus ? Un poète se plaignait autrefois, dans une boutade, des arbres qui l’empêchaient d’admirer la forêt : nous serions bien tentés de nous plaindre aujourd’hui de tant de bustes qui nous empêchent de voir la sculpture. Symétriquement rangés, à travers toutes les allées du jardin, sur des socles qui se touchent, toutes ces épaules se coudoient, toutes ces têtes se sourient les unes aux autres et se font tort mutuellement. Qu’on soit indulgent pour l’artiste qui a péniblement exécuté un morceau important, qu’on s’attache à découvrir dans son œuvre les moindres qualités qui justifient l’admission, cette bienveillance nous semble très légitime, cette facilité nécessaire. Mais qui pourra nous donner le motif de la réception au Salon de tant de portraits insignifians, véritables ébauches auxquelles manquent la vie, photographies sculptées qui s’étalent sottement dans leur incorrigible insignifiance ?

MM. les artistes devraient y songer, cette faiblesse n’est pas seulement grave en elle-même, elle est pleine de dangereuses conséquences : et pour avoir ouvert la porte à deux battans à une foule de portraits ridicules, ils ont nui à l’examen attentif d’une série d’œuvres qui méritaient d’être remarquées. Il y a là une tendance fâcheuse, indispensable à signaler. Comment ne pas signaler aussi l’introduction plus fâcheuse cent fois de l’anecdote dans la sculpture ? Elle s’est installée chez les peintres, passons. Le mal est ancien, il était d’ailleurs inévitable ; mais gardons intacte du moins notre grande école de sculpture. L’anecdote et la broderie ont tué la sculpture italienne, et quand elles apparaissent au milieu de nous, un tel désastre ne saurait être racheté par des qualités de premier ordre. Plus les qualités sont grandes, plus le danger vous paraît imminent, puis il nous semble urgent de pousser un cri d’alarme.

A quelle école appartiennent d’ailleurs les conteurs d’anecdotes, dans quelle catégorie convient-il de les ranger ? Avec des divisions moins nettes que chez les peintres, les différens sculpteurs se rattachent cependant à des traditions diverses. Nous venons de passer en revue quelques œuvres des sculpteurs classiques et néo-classiques qui s’inspirent particulièrement de l’ancienne Rome et de la Grèce, comme M. Guillaume, ou qui mêlent la Grèce à la renaissance