les petits jouissaient et pillaient. Alors la colère et le chagrin s’emparèrent des cœurs les plus doux. Chacun jura de venger son injure et la honte de ses espérances trahies. » Ceux qui ont partagé la Pologne ont gardé leurs conquêtes et ils en ont fait d’autres depuis ; la révolution a perdu les siennes. Il faut considérer aussi que par les expropriations qu’elle exerça, par les doctrines qu’elle prêchait et qui se retournèrent contre nous, elle poussa des populations divisées à s’unir en corps de nation, que par suite elle changea la balance entre nous et nos voisins et nous priva pour jamais de cette clientèle de petits états souverains qui faisaient notre sûreté et notre force. En revanche, consommant sur un point l’œuvre de la royauté, elle sut donner à notre pays une puissance de cohésion, un sentiment et une conscience de lui-même que sans elle il n’eût peut-être jamais acquise. Est-ce une compensation suffisante ? Il y a là de quoi raisonner longtemps. Ce qui est certain, c’est que la France, obligée désormais de compter avec d’inquiétans voisinages, ne peut plus se permettre aucune aventure, aucun roman. La guerre de magnificence que nous fîmes au Mexique nous a coûté l’Alsace et la Lorraine.
Pour en revenir à M. Sorel, la critique lui reprochera sans doute d’avoir tiré quelquefois de ses prémisses des conséquences un peu forcées, d’avoir expliqué par l’influence des traditions certains faits qui s’expliquent assez par la nécessité des situations et des circonstances. Rien ne change plus les hommes que l’exercice du pouvoir, et il admet sans doute comme nous que les conventionnels n’ont pas eu besoin d’étudier longuement nos annales pour se convaincre que ce n’est pas la métaphysique qui gouverne le monde et pour en conclure qu’ayant à traiter avec l’Europe, ils devaient lui parler le langage des affaires. On pourrait lui reprocher encore d’avoir attribué en propre au caractère français des tendances qui sont de tous les temps et de tous les lieux, parce qu’elles sont inhérentes à la nature humaine, toujours encline à abuser de tout. Il serait le premier à convenir qu’il n’y a pas en Europe un seul gouvernement qui n’ait sacrifié à l’esprit de chimère, qui n’ait compromis une fois ou l’autre son avenir par des ambitions magnifiques et déréglées. Mais quelques réserves qu’on fasse, sa thèse n’en subsiste pas moins dans ce qu’elle a d’essentiel, et cela suffit pour assurer une valeur durable à son livre, aussi solide qu’original et bien digne de figurer parmi les meilleurs qu’on ait écrits pour dégager de la confusion des faits une philosophie de la révolution française. N’étant ni son détracteur ni l’un de ses fanatiques, il ne peut se flatter d’obtenir les suffrages d’aucun parti ; mais ce n’est pas pour les partis qu’écrivent les philosophes et les vrais historiens.
G. VALBERT.