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trouveraient la vie bonne, l’homme heureux, la nature indulgente et clémente ! comme ils jouiraient surtout, et « de tout ce qu’ils font, » et « de tout ce qu’ils voient, » et « de tout ce qu’ils mangent, » et « de tout ce qu’ils boivent, » et « de tout ce qu’ils aiment ! » Or, que n’aiment-ils pas, quel plaisir les a jamais laissés indifférens, quelle jouissance ou quelle volupté ? Leurs livres suffisent à le dire. Ce n’est donc point la vie qu’ils trouvent mauvaise, mais la mort seule qu’ils redoutent, et, dans l’effort de l’humanité, ce qui leur semble uniquement lamentable, ridicule, ou irritant, c’est la souveraine inutilité dont il est pour nous affranchir de la mort. Unus est interitus hominis et jumentorum, et æqua utriusque conditio ; puisque nous mourons comme les animaux, il n’y a pas de différence des animaux à l’homme ; et nous sommes les dupes d’une vanité dont on ne sait s’il faut rire ou pleurer davantage, quand nous mettons notre distinction dans une prétendue supériorité qui n’est, à la bien voir, qu’une plus grande capacité de souffrir. Voilà le principe de leur pessimisme. Il peut d’ailleurs, sans cesser d’être, se tourner chez les uns en colère, comme chez l’auteur de la Joie de vivre ; en mépris chez les autres, comme chez l’auteur de Bel-Ami ; ou chez un troisième, comme chez l’auteur de la Course à la mort, en une espèce de résignation : c’est affaire ici de circonstance ou de tempérament, et toute maladie, comme l’on sait, se modifie pour s’adapter à la constitution du malade. Mais chez tous elle aboutit à un dégoût de vivre plus ou moins sincère et plus ou moins profond ; et il n’y a d’ailleurs que ce symptôme qui soit proprement essentiel, car il n’y a que lui qui mette, si je puis ainsi dire, une idée claire et distincte sous le mot mal fait, vague et obscur de pessimisme.

On peut dire maintenant tout ce que l’on voudra : que cette peur de la mort, assez nouvelle chez nous, a quelque chose en soi de peu philosophique, mais surtout d’inélégant ; que si ce dégoût de la vie gagnait et venait à s’étendre, il pourrait engendrer de funestes conséquences ; quoi encore ? que le pessimisme n’est pas un système, qu’il manque également de « base scientifique » ou de « base métaphysique. » Il n’en est pas moins vrai que le problème est posé de nouveau dans le monde, et qu’on le résoudra d’ailleurs comme ou pourra, mais qu’on ne le supprimera pas. Dans le siècle où nous sommes, pour beaucoup de raisons, philosophiques, historiques, politiques et autres, le prix de la vie est en question. D’où venons-nous ? où allons-nous ? que sommes-nous ? Renvoyons, si l’on veut, tous ces problèmes aux écoles des philosophes ; il y en aura toujours un qu’il nous faudra bien retenir : La vie vaut-elle la peine d’être vécue ? et si oui, comment faut-il la vivre ? Oserons-nous dire qu’à nous-même, qui ne sommes point pessimiste, ceux qui le savent si bien nous feraient plaisir