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d’ajouter que cette manière de jouer au réel, si je puis ainsi dire, a quelque chose de trop puéril. Il serait facile encore de noter plus d’une imitation, ou plus d’un ressouvenir de Stendhal, mais j’en ai dit assez, et je ne voudrais pas, en y insistant, donner à ces remarques plus d’importance qu’elles n’en doivent avoir.

Elles ne prouvent en effet qu’une chose : c’est que M. Paul Bourget n’est pas encore absolument maître de ses procédés. Pour le devenir, il faudra qu’il secoue toutes ces influences littéraires qui le gênent maintenant plutôt qu’elles ne le servent, et que, se plaçant lui-même en face de la nature, il la reproduise telle que ses yeux la voient. Rien de meilleur que de vouloir emporter le suffrage de certains juges, et rien de plus sûr pour le conquérir que de flatter délicatement leurs manies, mais il vient un temps aussi de reprendre son indépendance. Ce temps est venu pour M. Bourget, et c’est à cette épreuve que nous l’attendons maintenant.

Peut-être aussi faudra-t-il qu’il corrige ou du moins qu’il simplifie sa manière d’écrire, qui gâte souvent sa manière de penser. Je ne parle pas de quelques négligences qui étonnent sous la plume de M. Bourget : « Il n’était pas encore adonné au tabac ; .. des confidences meurtrières à l’avenir de son sentiment ; .. il éprouvait un déchirement au sein comme si son cœur allait se décrocher ; » mais je parle de phrases et de pages entières : « L’obscure intuition de l’âme universelle, dont les visibles formes et les invisibles sentimens sont le commun effet, leur révélait, sans qu’ils s’en rendissent compte, une mystérieuse analogie et comme une correspondance divine entre la face particulière de ce coin de nature et l’essence indéfinie de leur tendresse. » En français plus gaulois, cela signifie qu’aux uns, c’est la mer qui ouvre l’appétit, et aux autres, le bois ou la montagne. M. Bourget n’eût-il pu le dire plus simplement ? Je sais bien, comme un vieil auteur en a fait l’observation, que les tropes « sont d’un grand usage pour déguiser les idées contraires à la modestie ; » et aussi, pour ce motif, M. Bourget fait-il une très grande consommation de tropes. De plus experts que moi décideront là-dessus si c’est des tropes qu’il abuse ou si c’est des idées contraires à la modestie, mais je ne crois pas me tromper en disant qu’il abuse ou des uns, ou des autres, ou peut-être de tous deux à la fois. Il abuse également des termes abstraits ou abstrus de la métaphysique, de quoi sans doute je n’ai pas besoin de citer d’autre exemple que la phrase que je viens de rappeler. Et si enfin vous y ajoutez ceux de la moderne psychologie, celle qu’on appelle physiologique, tout cela forme ensemble un mélange, curieux assurément, et nouveau, mais aussi décadent qu’il se puisse, trouble et malsain, — et dont un juge plus sévère oserait peut-être bien dire qu’il approche du galimatias. On remarquera que je ne le dis point.