Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 70.djvu/294

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’Asie pour compléter les indications du poète, et pour donner, comme on dit aujourd’hui, un Homère illustré.

Ce qui a suggéré l’idée de cette confrontation et de ces rapprochemens, c’est l’ensemble des découvertes que l’archéologie a faites depuis un demi-siècle. On a d’abord vu l’antique et vénérable Orient se dégager par degrés de son linceul de sable et de poussière ; après les premières fouilles de Botta et de Layard, en Assyrie, sont venues celles de Lepsius et de Mariette en Égypte, nos propres recherches en Asie-Mineure, l’exploration méthodique de la Phénicie par M. Renan, et enfin, tout récemment, l’exhumation de l’art chaldéen par M. de Sarzec[1]. En même temps, sur le sol de la Grèce et de l’Italie, il y a eu toute une suite de trouvailles grâce auxquelles, d’année en année, notre curiosité pénètre plus loin dans le passé des tribus aryennes, mères des Hellènes et des Latins. Ces tribus, destinées à un si brillant avenir, elle les suit maintenant bien au-delà du point où atteignent les derniers rayons de l’histoire, au-delà même de ces espaces indéterminés où les mythes projettent encore à travers l’ombre quelques lueurs faibles et douteuses. Avec les objets recueillis à Hissarlik, on remonte jusqu’à l’âge de la pierre polie ; mais la population qui tirait de cette matière la plupart de ses instrumens et de ses armes commençait à connaître les divers emplois du métal et l’estimait à un haut prix. À Théra, jusque sous cette couche épaisse de pouzzolane qui provient de l’éruption où ont été engloutis les deux tiers de l’île, on a saisi les traces d’une société qui semble déjà plus avancée ; cette catastrophe date cependant d’une époque si reculée, qu’aucun souvenir, même le plus vague, n’en était resté dans la mémoire des hommes. Dès lors, pourtant, ceux qui habitaient ce Pompéi préhistorique avaient le goût et la pratique d’un style décoratif qui ne manquait pas d’une certaine élégance ; ils ornaient de peintures les murs de leurs demeures. Enfin est venue la grande révélation, celle qui tout d’un coup a fait apparaître en pleine lumière tout ce monde de la Grèce primitive dont, la veille encore, on ne soupçonnait pas l’existence : M. Schliemann a ouvert les tombes de l’Acropole de Mycènes. Il y a eu là comme un vrai coup de théâtre, une sorte d’éblouissement ; sous le soleil de la Grèce, on a vu resplendir le luxe à demi barbare de cette cité des Atrides qu’Homère appelait la cité « où il y a beaucoup d’or, » πολύχρυσος Μυϰήνη (poluchrusos Mukênê).

L’impression avait été trop forte pour ne pas provoquer aussitôt de nouvelles investigations dans ce domaine inexploré. Dès que l’on fut averti, l’on trouva, un peu partout, en Argolide, en Attique, en

  1. Voir dans la Revue du 1er octobre 1882 : les Fouilles de M. de Sarzec en Chaldée.