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Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 70.djvu/330

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l’Angleterre à s’attribuer, au moyen de quelque insignifiante formalité, tous les territoires à sa convenance. Il est à remarquer que cette pensée de réglementer le droit d’occupation ne vint au chancelier qu’après qu’il en eut lui-même largement usé au profit de l’Allemagne. Les réponses des villes hanséatiques lui avaient été adressées en juillet 1883, et, dès le mois de décembre, il leur notifiait l’envoi à la côte d’Afrique d’un bâtiment de guerre, la Sophie, et d’un commissaire impérial. Les instructions que ce commissaire, le docteur Nachtigal, reçut à la date du 15 mai 1884, lui prescrivaient de protéger et de développer les intérêts du commerce allemand en visitant un certain nombre de points du littoral africain, et en concluant avec les chefs indigènes des traites d’amitié, des conventions de commerce et des traités de protection. « Notre but, avant tout, écrivait le chancelier, est de protéger notre commerce contre les usurpations territoriales d’autres puissances, particulièrement sur les points suivans : 1° Angra-Pequeña ; 2° la côte entre le delta du Niger et le Gabon, spécialement le littoral en face de Fernando-Po dans la baie de Biafra, et, au sud, aussi loin que possible, de l’embouchure des Camerons jusqu’au cap Saint-Jean ; 3° le Petit-Popo, où l’on a sujet de redouter des intrigues de la part de l’Angleterre, et où les chefs indigènes, le roi en tête, ont sollicité de l’empereur sa haute protection. » Pour rendre, probablement, plus facile cette surveillance à exercer sur les intrigues britanniques, M. de Bismarck demandait et obtenait des ministres anglais, pour le docteur Nachtigal, des lettres d’introduction et de recommandation auprès de tous les agens et de tous les alliés de l’Angleterre, le long du littoral africain. Le commissaire allemand justifia par son activité et son adresse la confiance qui avait été mise en lui. Dès que M. Hewett, le consul anglais, quelqu’un de ses agens ou des croiseurs à ses ordres s’éloignait d’un point de la côte africaine, l’infatigable Nachtigal apparaissait aussitôt avec sa pacotille de boîtes à musique, de chapeaux de feutre blanc et de bottes en maroquin rouge, exhibait ses lettres de recommandation et, avant le coucher du soleil, un traité en bonne et due forme avait fait passer sous le protectorat de l’Allemagne le souverain réel ou supposé du pays, tous ses chefs et tout son territoire. Le consul Hewett accourait, mais toujours trop tard, et faisait d’inutiles remontrances aux rois nègres sur la précipitation qu’ils avaient mise à aliéner leur indépendance : pendant qu’il envoyait à Londres des dépêches désolées, son heureux concurrent expédiait à Berlin des bulletins triomphans.

Au milieu de ces bulletins se trouve, dans le Livre blanc relatif à l’Afrique, un télégramme de quatre lignes, adressé de Varzin à l’ambassadeur d’Allemagne à Paris, et qu’on peut considérer