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point à l’ambassadeur allemand ; on voulut consulter la colonie du Cap, qui, appréhendant d’avoir à participer à une dépense, se renferma dans un silence prudent ; les mois s’écoulèrent, et l’ambassadeur allemand annonça à lord Granville que la frégate impériale le Wölf avait annexé aux domaines de l’empire toute la côte africaine, depuis la limite des possessions portugaises jusqu’à la Rivière-Orange, à l’exception de la baie de Walfish et des îles. On apprit en même temps qu’un fort était en construction à Angra-Pequeña, et que des traités étaient déjà conclus avec divers chefs indigènes.

L’Angleterre n’avait qu’à se résigner et à accepter les faits accomplis : elle affecta de ne regretter dans cette annexion que les facilités qu’elle offrira à la contrebande des armes et des munitions, dont la colonie du Cap interdit la vente aux indigènes. La présence d’une puissance européenne au nord de l’Orange aura pour résultat de faire expier tôt ou tard à l’Angleterre la monstrueuse iniquité dont elle s’est rendue coupable lorsqu’elle a poursuivi jusque dans les solitudes de l’intérieur, pour l’assujettir par la force à ses lois et à son monopole commercial, une population qui avait tout abandonné, tout sacrifié pour aller conquérir au loin son indépendance et sa liberté. L’usurpation de Natal sur les Boers fugitifs et sa transformation en une colonie anglaise sont un des plus grands crimes que l’histoire ait enregistrés. Ce crime a laissé une trace ineffaçable dans l’esprit de la population d’origine hollandaise qui nourrit contre la domination de l’Angleterre et contre tout ce qui est anglais une hostilité sourde, mais persistante. Les habitans de la colonie se divisent en deux camps rivaux : d’une part, les fonctionnaires envoyés par la métropole, les négocians importateurs, les trafiquans et les usuriers qui sont Anglais et sont établis dans les ports et les villes voisines de la côte ; d’autre part, les descendans des colons hollandais, les Boers ou paysans, adonnés aux travaux de l’agriculture et aux industries agricoles, race vigoureuse, opiniâtre au travail et d’une fécondité extraordinaire. Aussi la supériorité numérique de la race hollandaise s’accroît-elle sans cesse, et l’introduction du régime parlementaire a eu pour conséquence de mettre absolument entre ses mains les fonctions électives, les chambres et l’administration coloniale. Les Anglais de la province de l’Est, dont le chef-lieu est Grahamstown et où la disproportion entre les deux races est moins forte, ont songé plusieurs fois à demander l’érection de cette province en colonie séparée : ils n’ont pas osé donner suite à ce projet de peur de voir anéantir leur commerce par le cercle de douanes dans lequel Le Cap n’aurait pas manqué de les enfermer. Les colons hollandais ont pour programme politique : l’Afrique aux Africains, c’est-à-dire à eux-mêmes et à leurs descendans, à