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l’exclusion de toute race européenne et, particulièrement, de la race anglaise : de là le nom d’Africanders, que leurs adversaires leur donnent et qu’ils acceptent volontiers. La séparation d’avec l’Angleterre est incontestablement au fond de ce programme : si elle ne s’est pas encore accomplie, cela tient au voisinage des Cafres, qu’il n’a encore été possible ni de soumettre, ni d’exterminer, et contre lesquels la colonie a eu à soutenir trois guerres longues et sanglantes dont elle n’aurait pu sortir à son avantage sans la puissante assistance de la métropole. Il a fallu faire la part du feu et abandonner aux Cafres, entre la province de Grahamstown et la colonie de Natal, un vaste territoire où il est interdit aux blancs de pénétrer et de former aucun établissement. Natal est un autre démembrement de la colonie du Cap : c’est l’œuvre de la violence et de la force brutale. Un nombre considérable de Boers avaient cru assurer leur indépendance en mettant toute l’étendue de la Cafrerie entre leurs nouveaux établissemens et les établissemens anglais et ils avaient créé un port afin de s’ouvrir des relations commerciales avec l’extérieur ; mais l’Angleterre n’admettait pas qu’on pût fuir son joug comme un fléau ; elle admettait encore moins qu’on voulût commercer avec d’autres qu’elle. Des frégates anglaises vinrent écraser d’obus et prendre le port de Durban ; et l’état de Natal fut déclaré possession anglaise. Que firent les Boers ? Sans se décourager, ils mirent sur leurs grands chariots, espèces de maisons roulantes, leurs femmes, leurs enfans et leur mobilier, chassèrent devant eux leurs troupeaux, et s’enfoncèrent de nouveau dans l’intérieur. Après de vaines tentatives, il fallut renoncer à les y poursuivre. Natal présente le même spectacle que Le Cap : à Durban et sur la côte, les trafiquans anglais ; dans l’intérieur, à Pieter-Maritzburg, à Utrecht et autres localités dont les noms sont suffisamment significatifs, ceux des Boers qui n’ont pas émigré, qui s’intitulent le « parti patriote, » et qui font une opposition systématique aux autorités anglaises.

Au sortir de Natal, l’émigration des Boers prit deux directions différentes : le premier flot et le moins considérable s’établit entre l’Orange et son affluent, le Vaal ; il y fonda un petit état républicain, dont l’Angleterre a fini par reconnaître l’indépendance sous le nom d’état libre de l’Orange. Les plus nombreux et les plus déterminés des Boers ne se jugèrent point suffisamment loin des Anglais ; ils poussèrent plus avant, franchirent le Vaal, d’où vint le nom que prit leur république, et s’établirent à 300 lieues du Cap, entre les Zoulous à l’est, les Bechuanas et les Namaquas à l’ouest. On sait comment, sous le prétexte le plus futile, un gouverneur de Natal, sir Theophilus Shepstone, se rendit brusquement à Pretoria, leur capitale, avec un corps de troupes et proclama l’annexion du