regards étaient tournés vers Constantinople. Théodoric le savait, et ils ont payé de leur vie leur fidélité à la patrie romaine.
Il faut mettre encore dans le parti de l’opposition et du dédain nombre de ces personnages sénatoriaux que Sidoine nous dépeint vivant à la façon romaine dans des villœ, où la maison du maître s’appelle déjà castellum, parce qu’il a fallu la fortifier. Ces grands seigneurs, qui gardent dans l’atrium les statues d’argent des ancêtres, font exploiter sous leurs yeux par des troupes d’esclaves une partie du domaine, distribuent le reste à des colons, et partagent leurs loisirs entre la chasse et les lettres. Enfin, il y a encore des dédaigneux parmi ces petits lettrés, sermonnaires, poètes, rhéteurs, grammairiens, juristes, à propos desquels Sidoine évêque sans pudeur les noms de Platon, d’Horace, de Virgile et d’Appius Claudius ; polygraphes qui essaient dans tous les genres leur médiocrité prétentieuse, vieux écoliers des grands maîtres, incapables de faire autre chose que d’imiter, mais enorgueillis de cette science empruntée et de cette parure de grâces fanées.
Opposans vénérables et opposans ridicules n’étaient pas redoutables aux barbares : les premiers étaient une minorité très petite, qui a donné au souvenir de Rome l’hommage de quelques martyres. Des autres, il n’y avait pas à s’inquiéter. On retrouve cette sorte d’opposition frivole toutes les fois qu’une révolution amène des nouveau-venus sur la scène. Les dépossédés boudent dans leurs châteaux ; ils se vengent par des épigrammes et se consolent par le spectacle de leur perfection : eux ne mangent point d’ailleurs parfums sont raffinés ; ils parlent la bonne langue et se lavent les mains ; c’est assez. Ainsi les Grecs se sont consolés d’être gouvernés par les Romains, les Romains d’être gouvernés par des barbares, et les émigrés d’avoir été amnistiés par le premier consul. Cela est inoffensif et les nouveau-venus n’en demeurent pas moins en possession du monde. D’ailleurs les rois barbares avaient leurs courtisans les plus empressés parmi les Romains. Je ne parle pas seulement des traîtres qui cherchaient fortune auprès d’eux, du Gallo-Romain Arvande, qui appelle les Wisigoths sur la Loire ; de Serronat, ce « Catilina, » comme parle Sidoine, qui « verse à boire aux barbares des provinces ; » ni de ces rhéteurs à gages qui écrivent les panégyriques des rois avec un tel raffinement d’art que leurs héros les ont compris moins encore que nous ne les comprenons ; mais on trouve à la cour de tous ces rois d’honnêtes gens qui les servent honnêtement. En Italie, on peut opposer à Symmaque et à Boècd, Cassiodore. Il y a une dynastie des Cassiodore comme des Symmaque : le plus ancien que nous connaissions, riche propriétaire du Bruttium, a défendu l’Italie méridionale et la Sicile contre les Vandales ; le second a été l’ami d’Aétius, qui fut le dernier