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dogme, avait organisé sa hiérarchie de prêtres, d’évêques, de métropolitains, et son clergé était devenu dans le monde une grande puissance.

Il faut bien comprendre l’importance extraordinaire que le dogme avait prise dans l’esprit des hommes de ce temps. La décadence intellectuelle était profonde. Depuis le Ier siècle de l’ère chrétienne, la civilisation antique n’avait rien produit de nouveau. Au IVe siècle, on étudiait encore le droit, et nous savons des noms d’avocats célèbres, mais il n’y avait plus de grands jurisconsultes. On étudiait la philosophie ; Platon et Aristote avaient des disciples en Gaule et en Italie, et Sidoine nous parle d’un collège de platoniciens, complatonici, où brillait son maître, Claudianus Mamertus ; mais ce défenseur de la spiritualité de l’âme n’est ni plus fort, ni plus faible que tel de nos philosophes, et son De Statu animœ pourrait servir à la préparation du baccalauréat. La rhétorique prospérait et les Gaulois y étaient passés maîtres ; Bordeaux avait trente professeurs célèbres de rhétorique ; mais ils raffinaient les vieux artifices et l’art de parler pour ne rien dire. Nous connaissons quelques-uns des thèmes de ces rhéteurs. Ennodius, le panégyriste de Théodoric, donnait en matière le discours de Didon, qui voit partir Énée ; un discours contre une belle-mère, qui, ne pouvant inspirer à son mari la haine de son gendre, les a empoisonnés tous les deux ; un autre contre un homme qui a élevé une statue à Minerve dans un lupanar. Le genre épistolaire florissait aussi, et l’on variait les sujets de ses lettres, de façon qu’elles pussent composer un volume agréable. Sidoine nous apprend que chacune de ses lettres appartient à un genre déterminé : exhortation, louange, conseil, condoléance, plaisanterie. Il classait ces petits chefs-d’œuvre, et, le moment venu, se faisait prier par quelque obligeant ami de a ventiler son portefeuille arverne ; » aussitôt il publiait son volume. Cela s’appelait « être le disciple de Pline. » Les poètes anciens avaient aussi leurs disciples : point d’homme comme il faut qui ne fasse des vers de tous mètres, « hendécasyllabes glissans et sans nœuds, hexamètres crépitans et cothurnes, élégiaques, échoïques, dont le commencement et la fin sont reliés par anadiplose ; » je traduis Sidoine, louant le rhéteur Lampridius, « cet artiste en vers, » qui savait employer toutes les figures comme tous les mètres. Ces poètes ont les procédés les plus inattendus. Sidoine veut décrire la villa de Leontius : il imagine que Bacchus, retournant de l’Inde en Grèce, rencontre Apollon, qui lui conseille de le suivre aux bords de la Garonne. Bacchus y consent et Apollon décrit au vainqueur de l’Inde la villa, qui n’existe pas encore, mais qu’il voit de son œil prophétique. Ces écrivains, qui fouettaient leur imagination pour la réveiller, torturaient aussi la langue ; ils