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Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 70.djvu/442

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les corps de troupes. Grâce à eux, le conscrit, dans les premières tristesses qui facilement se tournent en dégoût, voit le métier qu’il redoute choisi par des hommes semblables à lui, et, en découvrant qu’il semble enviable à d’autres, le trouve moins odieux pour lui-même. Dans les heures de loisir les souvenirs, les regrets, les entretiens des soldats contraints à servir leur chantent sans cesse ces airs du pays natal, qu’on défendait jadis de jouer devant les troupes suisses pour ne pas amollir leur courage. Quand la voix du vieux soldat s’élève, c’est de l’armée qu’il parle, de ses batailles, de ses chefs, c’est sa vie que tantôt il célèbre, que tantôt il chansonne ; avec lui les conversations, les espérances, la gaîté même fortifient l’esprit militaire. Il fait ce que nul chef ne peut accomplir, joint la familiarité d’un égal à l’autorité d’un éducateur, dirige sans contrainte les volontés que la discipline est impuissante à gouverner, veille dans les instans où elle se repose, gardien incomparable que son point d’honneur oblige à relever sans cesse aux yeux des autres la dignité de la profession adoptée par lui.

Avec ses anciens soldats, l’armée retrouvera ses anciens sous-officiers. Le service de cinq ans aura donné le loisir de les former ; le remplacement permettra de les conserver cinq et dix ans. On ne commettra pas la faute de ne permettre le remplacement qu’aux simples soldats. Si ces hommes, attirés d’ordinaire au service par la volonté de se créer des ressources, étaient contraints d’opter, après cinq ans, entre la prime que l’état offre aux sous-officiers rengagés et le capital que reçoivent les soldats remplaçans, le grade deviendrait pour eux un désavantage, la plupart refuseraient les galons ou, à l’expiration de leur congé, les rendraient pour toucher, comme remplaçans, une somme plus forte. La fonction de sous-officier se recruterait malaisément et, à chaque départ de classe, serait délaissée par les plus capables de la bien remplir. Pourquoi les contraindre à une option funeste soit à leurs intérêts, soit à la dignité du grade ? Que sont les sous-officiers, sinon des soldats meilleurs que les autres ? et quel désavantage y a-t-il pour l’armée si à des recrues sont substituées des hommes d’élite ? Admettre les sous-officiers comme remplaçans, c’est porter le dernier coup à un préjugé autrefois répandu dans l’armée et peut-être survivant encore contre ceux qui « se vendent ; » c’est réhabiliter un marché entre tous honorable, puisque la chose livrée est la vie consacrée au pays, avec un faible gain pour l’homme qui l’offre et au grand avantage de la nation qui la reçoit. Le soldat qui pourra joindre à sa solde de sous-officier le capital du remplacement sera retenu sous les drapeaux ; l’état, pour le garder, n’aura plus besoin de lui offrir les primes ni les retraites, si coûteuses et si inefficaces, qu’il dépense aujourd’hui. L’argent des particuliers suffira, là encore, à assurer un service public. Le seul danger à