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corps de Langeron (Kapzewitch), sur La Ferté-Milon; le corps de Kleist, sur Bournonville et Marolles; les bagages sur Billy-sur-Ourcq...


Ainsi Blücher battait en retraite, et, ne sachant pas si les têtes de colonnes de l’armée impériale ne le joindraient point dès le lendemain matin, il marquait à ses troupes des lieux d’étapes qui pussent le cas échéant devenir des positions de combat. Quand il écrit, en effet, que York établira son front face à Château-Thierry et que les autres troupes, après avoir passé l’Ourcq, bivouaqueront derrière cette rivière, il indique qu’il acceptera la bataille si Napoléon le menace trop vite et de trop près, ou si des renforts arrivent à l’armée de Silésie.

C’était là l’espoir de Blücher. Le 24 février, le feld-maréchal avait envoyé l’ordre à Bulow et à Winzingerode de marcher immédiatement sur Paris, le premier, par Villers-Cotterets et Dammartin, le second, par Fismes, Oulchy et Meaux, et le 28 février, il avait reçu de Winzingerode une lettre l’informant que ses instructions seraient exécutées. D’après les calculs de Blücher, Winzingerode devait arriver à Oulchy le 1er ou le 2 mars, et Bulow devait se trouver à cette date sur la rive gauche de l’Aisne. Si donc l’armée de Silésie pouvait opérer sa jonction à Oulchy avec les corps de Winzingerode et de Bulow, Blücher s’arrêtait, faisait front et livrait bataille, ayant tous les avantages du nombre et de la position[1]. Mais cette espérance s’évanouissait d’heure en heure dans l’esprit de Blücher et de ses conseillers habituels, Gneisenau et Muffling. Comment admettre, en effet, que si les renforts attendus étaient à une journée de marche à peine de l’armée de Silésie, on n’en eût aucune connaissance ? Pourquoi les lieutenans de Blücher ne l’avertissaient-ils pas de leur arrivée? Pourquoi ne lui rendaient-ils pas compte de leurs opérations? Depuis trois jours, le grand quartier-général était sans nouvelles. Plusieurs officiers d’état-major envoyés à la découverte n’avaient point donné signe de vie. L’un d’eux, le major Brunecki, aide-de-camp de Kleist, avait bien envoyé de Braine, le 1er mars, deux dépêches annonçant que les corps de Winzingerode et de Bulow étaient à proximité de l’armée de Silésie, mais ces dépêches n’étaient pas arrivées au quartier-général. Le cosaque qui les portait s’était égaré et avait été fait prisonnier dans la forêt de Villers-Cotterets[2].

  1. Muffling, Aus meinem Leben, p. 123-124. Kriegsgeschichte des Jahres 1814, t. II, p. 86. Cf. Bogdanovitch, Geschichte des Krieges 1814 in Frankreich, t. I, p. 300-302. Plotho, Der Krieg des Jahres 1814, t. III. p. 283.
  2. Ces deux lettres sont aux Archives de la guerre. La première, adressée à Kleist, annonce que Bulow et Winzingerode doivent, le 2 mars, attaquer Soissons. La seconde, écrite à Blücher, est intéressante à citer. « .. Ayant appris à Villers-Cotterets que Soissons était encore occupée par les Français, je me suis dirigé, par Chaudun, sur Laon. J’ai rencontré ici (à Braine) l’avant-garde de Winzingerode, qui s’est mise ou mouvement de Reims sur Soissons. J’ai appris par le colonel russe Barnilow que Soissons devait être attaqué demain par les deux rives de l’Aisne: sur la rive droite, par le corps de Bulow, et, sur la rive gauche, par celui de Winzingerode, qui doit arriver aujourd’hui à Soissons. J’espère apprendre à Vailly, qui est occupé par le corps de Bulow, et où j’arriverai cette nuit, que Soissons est pris. Comme j’ai appris l’issue de l’affaire de Lizy, qui a eu lieu hier, ainsi que la direction que Votre Excellence a prise en se retirant, je ne manquerai pas d’en instruire Bulow, notre position pouvant se trouver changée par là. »