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LA LÉGENDE DU BOUDDHA.

les autres, aux confins de la terre. Là, quel silence, quel repos dans ces neiges éternelles, sous les lumières du firmament ! À cette hauteur, aucune voix n’arrivait plus. Tout avait disparu dans la brume. Une seule chose impalpable restait présente : l’ombre des tristesses humaines qui flottait autour de la cime, et la voix de l’humanité qui pleurait dans le cœur du Bouddha.

Il poussa dans l’espace un cri d’amour et de compassion. Ce cri l’emporta dans la seconde extase, loin de la terre et du soleil, dans les sphères innômées. Il contempla systèmes après systèmes, mondes et soleils sans nombre, se mouvant en mesures splendides, en harmonies profondes ; îles d’argent d’une mer de saphir, sans rivages, insondable, jamais diminuée, lentement agitée d’un flux et d’un reflux sans fin. — Il vit plus encore : il vit les esprits lumineux qui retiennent et gouvernent tous ces mondes par des fils invisibles, entraînés avec leurs systèmes dans un vaste mouvement et décrivant des orbes grandissans. Il vit que la loi de sacrifice et d’amour règne sur l’infini et que les créateurs d’humanités nouvelles sont les naufragés sublimes de terres brisées et de soleils éteints. — Alors, comme un navire poussé par des millions de vagues vers le calme de l’équateur, le Bouddha sentit qu’il touchait au Nirvâna. Conscience suprême, il se sentait un avec l’âme des mondes, amour de tous les amours, vie des vies, être des êtres, — un souffle, une flamme pure, légère, éthérée, traversant les espaces, libre du temps, — dans une félicité parfaite.

Pendant que l’âme du Bouddha planait à ces hauteurs incommensurables, son corps toujours appuyé au figuier resta plongé dans une catalepsie voisine de la mort. Son esprit ne tenait plus à ce demi-cadavre que par un fil imperceptible. Au moment où il allait se rompre, l’amour pour l’humanité et le sentiment de sa mission le ramena sur terre. En rentrant dans son corps il éprouva la sensation d’un coup de foudre et rouvrit les yeux avec une douleur inexprimable. Mais une pluie de fleurs tomba sur son front pour le ranimer. Le soleil radieux montait derrière la forêt, et le Bouddha se leva en vainqueur, maître de la science sublime.

IV.

En quittant la forêt d’Ourouvilva, le Bouddha prit la résolution d’enseigner sa doctrine non-seulement aux brahmanes et aux rois, mais encore au peuple et aux femmes, afin qu’elle se répandît dans le monde entier. « Car, se disait-il, tous les êtres, qu’ils soient médiocres, infimes ou élevés, peuvent être rangés en trois classes : un tiers est dans le faux et y restera ; un tiers est dans le vrai ; un tiers est dans l’incertitude. Ainsi des lotus qui sont sous l’eau, à