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LA LÉGENDE DU BOUDDHA.

dressé des arcs de triomphe. Yasôdhara était là, sous une tente, le cœur palpitant, attendant son époux.


Yasôdhara vit s’approcher quelqu’un qui avait la tête rasée et portait la robe jaune des moines mendians avec la ceinture de l’ermite. Il tenait dans sa main l’écuelle de terre en forme de melon et s’arrêtait à chaque porte pour demander l’aumône. Si on lui donnait quelque chose, il souriait en guise de remercîment ; si on ne lui donnait rien, il s’en allait avec le même sourire. Deux moines le suivaient dans le même costume. Mais il portait son écuelle si dignement, il remplissait l’air d’une présence si auguste, ses yeux étaient si rayonnans de sainteté, que beaucoup de gens le regardaient avec effroi, d’autres se courbaient en adoration, d’autres couraient chercher de nouvelles aumônes et s’affligeaient d’être pauvres. Femmes, hommes et enfans couraient derrière lui et mettant la main devant leur bouche, ils murmuraient : « Qui est-ce ? Jamais un Richi n’a eu cet air. » Lorsqu’il s’arrêta devant le pavillon de Yasôdhara, elle s’écria : « Siddârtha ! mon seigneur ! » avec de grands yeux ruisselans et les mains jointes. Ensuite elle tomba en sanglotant à ses pieds et resta là.

Le roi ayant entendu que son fils était venu en mendiant entra dans une grande colère. Il monta sur son cheval de guerre, enfonça ses éperons dans ses flancs et se jeta à travers la foule. Arrivé à la porte de la ville, il aperçut le Bouddha parlant au peuple, sa femme prosternée à ses pieds. Dès que Çâkya-Mouni vit son père, il le regarda avec vénération et s’agenouilla devant lui.

Le roi Çouddhôdana dit : « Ai-je donc vécu si longtemps pour que le grand Siddârtha entre dans mon royaume, vêtu en haillons, la tête tondue, avec des sandales et demandant sa nourriture aux misérables, lui dont la vie était celle d’un dieu ?

— Mon père, répondit le fils, c’est l’usage de ma race.

— Ta race, dit le roi, compte cent trônes depuis Mahâ-Sammat, mais pas d’action semblable à celle-ci.

— Je n’ai pas parlé d’une ligne mortelle, dit le maître, mais d’une descendance invisible : les Bouddhas qui ont été et qui seront. J’en suis un ; et ce qu’ils ont fait, je le fais. Ce qui arrive maintenant est arrivé autrefois : on a vu un roi en cotte de mailles rencontrer son fils ; et ce fils qui était par amour et par empire sur lui-même plus fort que les plus grands rois dans toute leur puissance, ce sauveur prédestiné des mondes, s’est courbé comme je le fais et a offert humblement ce qui était pour lui une tendre dette : les prémices du trésor qu’il avait apporté.

— Quel trésor ? dit le roi étonné en descendant de cheval. » Le maître prit la main royale de son père et ils traversèrent les rues, le roi d’un côté, la princesse de l’autre. Tout en marchant, il expliquait