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LA LÉGENDE DU BOUDDHA.

tions, je le sais, ne se résolvent pas en dix lignes. Je voudrais simplement en indiquer l’importance et la manière nouvelle dont elles se posent aujourd’hui.

J.-J. Rousseau a prononcé en faveur de l’authenticité relative des évangiles un mot qui n’a rien perdu de sa force après l’immense travail de la critique du xixe siècle : « Dirons-nous que l’histoire de l’évangile est inventée à plaisir ? Ce n’est pas ainsi qu’on invente. Au fond, c’est reculer la difficulté sans la détruire ; il serait plus inconcevable que plusieurs hommes d’accord eussent fabriqué ce livre, qu’il ne l’est qu’un seul en ait fourni le sujet. L’évangile a des caractères de vérité si grands, si frappans, si parfaitement inimitables, que l’inventeur en serait plus étonnant que le héros. » Ce raisonnement, fort juste en ce qui concerne la personne morale du Christ, nous paraît s’appliquer dans une large mesure au plus grand réformateur religieux de l’Inde. Il est vrai que la question se présente en des conditions très différentes. Si, d’une part, la rédaction des premiers évangiles est postérieure d’une cinquantaine d’années à la mort de Jésus, de l’autre, nous possédons sur sa réalité historique des témoignages contemporains et irrécusables. Au contraire, les plus anciens documens sur la légende du Bouddha sont postérieurs de plus d’un siècle à la date présumée de sa mort. La critique et le doute ont donc beau jeu. Tout récemment, dans son Essai sur la légende de Bouddha, M. Senart essayait de ramener toute l’histoire du fondateur du bouddhisme au développement d’un mythe solaire. Cette gageure de savant, avec ses rapprochemens ingénieux et son luxe de mythologie comparée, nous a paru à peu près aussi convaincante que cet amusant livre où l’auteur démontre victorieusement que Napoléon Ier n’a jamais existé. Il est facile de voir dans la légende du Bouddha une superfétation d’élémens mythologiques qui se sont cristallisés autour du noyau de l’histoire, mais ce noyau forme un tout solide et homogène. Nous pouvons ici juger de la nature de la cause par la puissance de l’effet. Jamais un simple mythe n’a produit une rénovation religieuse. À l’origine de toute grande réforme il y a un initiateur. De la légende du Bouddha il ressort une personnalité tranchée, un mélange très particulier de familiarité, de grandeur et de profondeur raisonnée qui le distingue nettement des héros plus mythologiques, tels que Rama, Krichna et tant d’autres. Ce n’est pas la légende qui peut créer un tel homme ; c’est l’homme qui a provoqué la légende et lui a communiqué sa vibration personnelle.

Que Çâkya-Mouni ait été ou non un fils de roi, et cela est fort probable, une chose paraît certaine : il dut être un initié de cette