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Ainsi parlait le maître. Elle descendait l’heure où s’évanouit la lumière du jour, où les cimes lointaines de l’Himalaya se colorent comme des feuilles de rose. On eût dit que la nuit écoutait dans les vallées et le jour sur les montagnes. Entre l’âme du Bouddha et celle de ses auditeurs, le soir était debout comme une jeune fille frappée d’amour et de ravissement. Et tous se sentaient apaisés en écoutant celui dont la parole parfume les trois mondes.

Le Bouddha enseigna sa doctrine pendant plus de quarante ans, voyageant et prêchant à travers toute l’Inde du nord. Il fonda des ordres religieux d’hommes et de femmes, convertit trois rois et trois royaumes. — À l’âge de quatre-vingts ans, il revenait de Râdjagriha dans le Magadha, accompagné d’Ananda et d’un grand nombre de disciples. Arrivé sur le bord méridional du Gange et sur le point de le passer, il se tint debout sur une grande pierre carrée, regarda son compagnon avec émotion et lui dit : « C’est pour la dernière fois que je contemple la ville de Râdjagriha et le trône de diamant. » Après avoir traversé le Gange, il visita la ville de Vaïçali, il y ordonna plusieurs religieux, dont le dernier fut le mendiant Soubhadra ; puis il se remit en route. Au nord-ouest de la ville de Koucinagara, il fut atteint d’une défaillance et s’arrêta dans une forêt de çalas (Shorea robusta). C’est là qu’il expira, ou comme disent les bouddhistes, qu’il entra dans le Nirvâna. Saint Benoît et l’empereur Septime Sévère voulurent mourir debout. Le Bouddha, qui avait passé sa vie à poursuivre le repos suprême, mourut presque en marchant.

VI.

Telle est dans ses grandes lignes la vie du Bouddha, que M. Edwin Arnold a tenté de rendre dans son beau poème avec les couleurs de Valmiki et de Calidâsa. J’y ai joint quelques menus faits de la légende, dans lesquels j’ai cru reconnaître le trait vivant et personnel et je me suis efforcé d’accentuer, dans le phénomène du Nirvâna, ce caractère d’extase transcendante où la psychologie et la métaphysique se fondent comme en un centre incandescent.

Une série de considérations esthétiques d’un haut intérêt se présenterait ici, s’il nous plaisait de comparer à ce point de vue le génie de l’Inde au génie de l’Occident. Mais il y a des pensées d’un ordre supérieur qui s’imposent en face d’un tel sujet. Je préfère donc me demander, en terminant, ce qu’il faut croire du personnage historique du Bouddha, quel est le sens véritable de sa doctrine, enfin quelle place elle occupe dans l’ensemble du développement philosophique et religieux de l’humanité. De telles ques-