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UN DÉPARTEMENT FRANÇAIS.

Foin de la bourgeoisie ! disent les démagogues. Moquez-vous de son orthographe, de ses phrases, de sa noire livrée ; soyez franchement peuple. — Le conseil est peut-être bon, mais les paysans ne paraissent nullement disposés à le suivre et, au fond, les ouvriers ne le sont pas davantage. La bourgeoisie, dépouillée de toutes ses défenses accessoires, sans traditions, sans propriété, sans hiérarchie, reste encore le centre de tous les efforts. C’est un type dont chacun tend à se rapprocher. Les plus forcenés, lorsqu’ils ont rempli la place publique du tapage de leur querelle, s’ils peuvent réaliser quelques économies, viennent à petit bruit se glisser dans nos rangs. Les chefs du parti populaire roulent carrosse, touchent leurs rentes, et leur bonne figure satisfaite reparaît sous le masque du tribun. Notre démocratie, à son insu, est bourgeoise jusque dans les moelles.

Nous connaissons maintenant le but de l’ambition rurale et les étapes à franchir. Quels sont les auxiliaires dont elle se servira ?

II.

Plus la distance est grande des bourgeois aux paysans, plus les idées doivent se transformer en gros sous pour circuler dans les campagnes. Elles passent entre les mains d’une foule de petits intermédiaires, d’honnêtes courtiers, paysans dégrossis, demi-bourgeois, gros marchands ou commis. En apparence, chacun ne suit que son intérêt. En réalité, chacun découpe les notions supérieures pour les débiter en détail, et distribue autour de lui des morceaux de raisonnement qu’on avale sans y prendre garde. Les lettrés redoutent le contact de ces agens subalternes et médiocres. Les politiques les subissent et s’en servent. Les philosophes les considèrent comme des facteurs essentiels de la civilisation. Voyons d’abord ceux qui sortent directement du peuple, et commençons par les plus humbles.

Pourquoi les gens d’esprit voyagent-ils rarement en troisième classe? Les banquettes leur sembleraient un. peu dures; mais ils se procureraient à bon marché cette expérience directe des hommes, ces leçons de choses qu’ils recommandent dans leurs écrits. Il est sans doute gênant de respirer l’odeur d’un tabac inférieur et d’entendre ses voisins causer très haut de leurs affaires. Peu à peu, cependant, on finit par prêter l’oreille. Il est rare que la conversation ne tourne point à la politique. C’est alors un singulier mélange de bon sens et de divagation. C’est surtout une manière