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vail, des estomacs affaiblis par le jeûne, des plaies atroces, des petits citoyens qui viennent au monde sans être attendus. Voilà la carrière, elle est ouverte. Peu de gens disputeront aux médecins une popularité aussi chèrement payée.

— Mais quelle nécessité pour eux de se mêler de politique ? Puisqu’ils remplissent un sacerdoce, qu’ils s’y tiennent. — Les médecins sont hommes, et la politique est le sel de l’existence. Nous en avons connu un qui n’avait que le souille. C’était un petit être insinuant et doux, avec des palpitations, parlant bas, d’une voix caressante et comme trempée de larmes ; si faible, il menait une vie à tuer un bœuf. Où puisait-il ses forces ? Dans l’ardeur de la propagande. Le plaisir d’offrir à ses malades, en guise de cordial, quelques doctrines vinaigrées, soigneusement roulées dans le miel, était le dédommagement de ses peines. Appelé la nuit dans quelque hameau éloigné, il songeait, en se frottant les mains, qu’il allait ajouter cinq ou six voix à son troupeau électoral, et il éprouvait la joie du bon pasteur à la recherche de la brebis égarée. Il ne fallait pas lui parler du clergé ou de la noblesse ; il serrait alors son petit poing, et tout son corps tremblait : ce qui ne l’empêchait nullement de porter ses soins au chevet des hobereaux, et de les droguer en conscience. Leur santé lui importait d’autant plus, que, sans eux, on n’aurait pu recommencer la bataille. Ainsi, deux champions du moyen âge, se frappant d’estoc et de taille, déposaient un instant le harnois et se pansaient mutuellement leurs blessures.

On discute, au coin du feu, les qualités qui conviennent à un homme d’action. — Un tel, dit-on, est supérieur. Il a du coup d’œil et de la décision, une main à la fois ferme et légère. Avec lui, point de lenteurs paperassières, point d’ajournement, mais des résolutions et des actes. Quand les faits résistent, il ne s’entête pas, car il a peu de principes arrêtés ; mais il observe, et il poursuit la nature dans ses continuelles métamorphoses. Il est souple, ingénieux, plein de ressources, d’une patience à toute épreuve, et quelquefois brutal, quand il faut brusquer le dénoûment. — De qui parle-t-on ? D’un médecin ou d’un homme d’état ? Le doute est permis, tant les qualités requises sont semblables dans les deux cas.

Pour étendre son influence au-delà de deux ou trois clochers, et devenir réellement conducteur d’hommes, il ne faut pas seulement de la suite et de l’habileté : il faut savoir négliger ses intérêts et se ruiner au besoin. Qui s’occupe des affaires d’autrui fait généralement mal les siennes. Ceci explique les mécomptes des chefs d’industrie quand ils se lancent dans la politique. Faire sa fortune est assurément un grand dessein. Il y faut une application soutenue,