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Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 70.djvu/680

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Le sentiment de faire du bien à de pauvres créatures vivantes n’eût pu la laisser aussi satisfaite d’elle-même que celui de rendre un gîte à ces fantômes déshérités. Toute cette évocation d’ailleurs n’avait d’autre but que de former un arrière-plan à la figure capitale toujours présente dans sa pensée ; ce nouveau Hilton n’était que le mausolée de la jeunesse qu’elle adorait, le temple d’une idole : Ida Ludington.

Au-dessus de la cheminée, dans la chambre principale, elle avait suspendu, un portrait à l’huile qu’un peintre en renom avait fait d’après la petite miniature pâlie à laquelle il ne ressemblait peut-être pas très exactement, quoique miss Ludington se gardât d’en convenir ; grâce au prestige d’une exécution savante, cette jeune fille aux épaules nues, aux épais cheveux d’or flottans sur une robe blanche, lui paraissait au contraire rappeler sa chérie beaucoup mieux encore que la première image ; c’étaient bien les mêmes yeux, d’un violet tendre et profond, le même buste virginal qu’on aurait cru sculpté dans le marbre. Combien brillante, combien pleine avait été la vie de cette adorable fille ! combien plus réelle que celle de la personnalité morne et fanée qui depuis si longtemps n’avait reçu d’autre lumière que celle qui jaillissait de ce jeune visage ! Et pourtant tout cet éclat s’était évanoui comme une vapeur et ses éléments ne pouvaient pas plus se combiner de nouveau que ne le pourraient les nuances insaisissables de l’aube d’hier. À cause de cela, miss Ludington avait enveloppé d’un crêpe noir le cadre du portrait d’Ida.

Ce portrait fut l’objet des premières curiosités d’un enfant qu’elle se vit obligée quelques années plus tard de recueillir, la mère du petit Paul, une cousine pauvre, le lui ayant légué au lit de mort. Lorsqu’il fut admis dans le salon, Paul tendit les bras à l’aimable figure qui souriait au-dessus de la cheminée ; ce mouvement devait lui gagner aussitôt l’affection de miss Ludington. Puis, à mesure que le baby grandit, toutes ses questions furent d’abord sur « la belle dame du tableau ; » il était content lorsque sa tante, aunty, comme il l’appelait familièrement, lui racontait des des histoires vraies sur Ida. Jamais il ne songea dans sa naïveté à établir le moindre lien entre cette jeune déesse et la vieille aunty. En se promenant avec cette dernière à travers le village il recueillait mille détails sur ce qui était arrivé à sa belle dame ici ou là. L’innocente sympathie de l’enfant consolait singulièrement miss Ludington. Ln jour, Paul avait huit ans alors, elle le surprit grimpé sur une table et baisant à pleine bouche les lèvres peintes qui le laissaient faire. Émue jusqu’aux larmes, elle le saisit dans ses bras et le couvrit elle-même de baisers dont la véhémence lui fit peur. Bientôt il annonça très sérieusement son intention