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Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 70.djvu/686

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La mélodie devient de plus en plus mélancolique, laissant tomber, pour ainsi dire, des larmes goutte à goutte, puis elle s’éteint; un souffle froid passe sur les assistans et soudain, au seuil du cabinet, apparaît la forme d’une jeune fille qui, après quelques instans d’immobilité parfaite, glisse d’un mouvement imperceptible jusque dans la chambre. Cette clarté si faible tout à l’heure permet de distinguer maintenant les moindres lignes de ses traits. Est-elle donc lumineuse de sa nature?.. C’est Ida elle-même, vêtue exactement comme la figure du portrait, plus belle que son portrait encore. Elle arrête sur miss Ludington un long regard de tendresse inexprimable; assurément elle l’a reconnue, puis ce sourire d’ange devient le sourire d’une femme lorsque ses yeux se fixent sur Paul. Celui-ci reste sans souffle, sans voix, bouleversé. Elle s’est approchée de lui, si près, qu’il pourrait la toucher et, dans le transport qui le saisit, il va en effet la serrer sur son cœur, mais, d’un geste, elle l’arrête, et, obéissant comme à regret au pouvoir qui la rappelle loin de ce monde, recule et disparaît. La musique de nouveau murmure, puis on entend la voix affaiblie de Mrs Legrand appeler Alta : c’est le nom de la petite pianiste ; la lumière du gaz reprend son éclat, et le docteur Hull s’écrie : — « Voilà, certes, la séance la mieux réussie dont je me souvienne; elle a fait faire un grand pas au spiritisme. »

Inutile de dire quel désir passionné de revoir Ida reste au jeune Paul. Ce désir va jusqu’à la férocité, car le docteur Hull ayant déclaré que les séances tuent Mrs Legrand, qui a la plus grave des maladies de cœur, qui peut mourir d’un moment à l’autre dans une crise de catalepsie, il pose d’une voix tremblante une question horriblement significative :

— Quel effet produirait sur l’esprit évoqué la mort du médium survenue pendant la matérialisation?

— Le cas ne s’est jamais présenté, répond le docteur Hull.

— Supposons... L’esprit n’est-il pas dans la dépendance du médium pour quitter sa forme passagèrement matérielle aussi bien que pour l’adopter?

— Je comprends.., je comprends... Vous croyez que si le médium mourait ainsi, l’esprit pourrait rester matérialisé?

— Sans doute. La mort du médium fermerait la porte qui le sépare du monde des esprits ; il se retrouverait prisonnier dans la vie avec nous. Et qui sait s’il n’hériterait pas die d’existence physique qui abandonne le médium au moment même, puisqu’il possède déjà une partie de ce fluide vital? Il me semble que tout le reste affluerait vers lui et compléterait la matérialisation. Qu’en dites-vous ?