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la malheureuse était lasse de voler, lasse de mentir. La fuite restait sa dernière ressource. Indigne et se déclarant telle, Ida partait pour jamais, sa confession une fois écrite; elle partait soumise à la plus atroce, mais à la mieux méritée des punitions, le mépris de Paul.

Hélas! Paul n’est qu’un homme, il aime cette créature de mensonge. Au fond, la première stupeur passée, il éprouve une satisfaction facilement explicable à savoir qu’elle est femme tout de bon, femme à ce point... Il ne craindra plus de la voir s’évanouir en vapeur dans ses bras. Miss Ludington, qui n’a pas les mêmes compensations, pourrait se montrer plus sévère, mais le repentir de la coupable la désarme bien vite. On recherche Ida, on la retrouve, elle sera l’épouse de Paul, l’héritière de miss Ludington. Celle-ci cependant ne peut survivre à son illusion : elle meurt huit jours après le mariage, avec l’espoir de retrouver dans le ciel la véritable Ida, qu’elle a cru un instant posséder sur la terre. La mort ne l’effraie pas. Pour elle, la dissolution du corps n’est que la fin de cette mort quotidienne qui compose notre vie terrestre. Et le roman se clôt sur quelque chose d’étrange : un incendie, allumé par des vagabonds, détruit durant le voyage de noces que le nouveau couple fait en Europe, le simulacre de Hilton et le portrait d’Ida avec la maison qui l’abrite. Paul, décidément heureux d’en avoir fini avec les chimères, emmène sa femme dans une grande ville et s’accommode, à notre profond dégoût, de la société de son beau-père, le faux docteur Hull. Il va jusqu’à soutenir que Mrs Legrand est magicienne quand même, puisqu’elle a su transformer le plus vague des rêves d’amour en une adorable réalité.

Tout ce qui dans Miss Ludington’s Sister est simplement terre à terre ne mérite pas beaucoup d’éloges, mais l’imagination ne fait pas défaut dans l’ensemble à ce récit original entre tous ceux que nous venons d’énumérer. Il se fonde sur une piquante fantaisie de penseur qui semble avoir pour but de nous faire conclure que la même impression, sage ou folle, est susceptible de se traduire dans n’importe quel formulaire, et que les explications pédantesques de la science ne sont guère moins absurdes parfois que celles de la superstition nuageuse.


TH. BENTZON.