dérés, l’illustre Lee, tenait tête, pendant des mois, avec soixante mille hommes, aux trois cent mille soldats de Grant, et où le vaincu, jusque dans sa défaite, obtenait le respect ému de ses adversaires. Grant, dans cette lutte gigantesque, n’avait pas montré plus de génie que Lee, il avait surtout vaincu par le nombre ; mais il était le vainqueur. Il avait brisé la résistance du Sud, il avait mis fin à une guerre sanglante qui menaçait l’intégrité de l’Union américaine. Il était le sauveur, et c’était assez pour lui assurer une immense popularité, pour faire de lui un président à la première élection, après l’assassinat de Lincoln, à l’expiration des pouvoirs du triste vice-président Johnson.
Comme militaire, le général Grant avait assurément montré des qualités supérieures ; il avait été surtout heureux, et, dans une crise de vie ou de mort pour l’Union, il avait rendu le plus grand des services à son pays, il avait relevé la fortune américaine. Comme chef deux fois élu de l’Union, il est certain qu’il ne s’est pas maintenu au rang où s’était placé l’homme de guerre, et que sa double présidence, qui va de 1863 à 1876, a été une période peu brillante, peu favorable pour les États-Unis. Grant, pour tout dire, a été un président médiocre, passionné et étroit dans ses idées, jaloux de ses prérogatives sans se servir utilement du pouvoir, aussi opiniâtre à la Maison-Blanche que dans les camps, mais moins éclairé dans les affaires politiques que dans les affaires militaires, homme de parti plutôt qu’un homme de gouvernement. Il a été surtout accusé d’avoir laissé s’introduire dans l’administration américaine une immense corruption, d’avoir tout au moins toléré jusque dans son entourage des spéculations que la justice a appelées des concussions en les condamnant. Bref, l’homme politique n’avait pas répondu aux espérances qu’on avait conçues à son avènement. Aussi avait-il perdu beaucoup de sa popularité, et lorsque ses partisans fanatiques ont cru pouvoir parler pour lui d’une troisième candidature présidentielle, on s’est aperçu qu’il n’était plus temps. Le général Grant a eu une plus triste fortune. Depuis qu’il avait quitté le pouvoir, il s’était laissé entraîner dans les plus étranges aventures financières où il a tout perdu, où il a été même exposé à toute sorte d’épreuves vulgaires qui n’avaient pas servi à relever son prestige. La mort a fait tout oublier ; on ne s’est plus rappelé dans toutes les contrées de l’Union que les éminens services de celui qui, sans être un Washington, a contribué un jour à raffermir de sa main vigoureuse la puissance américaine menacée dans son intégrité et dans son avenir.