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à l’électeur qui reçut assez mal ses observations, se retrancha derrière le caractère tout privé de ses relations avec Villars et continua à le combler d’attentions. Il n’était question dans tout le pays que de la faveur de ce jeune étranger ; sa réputation s’étendait même au dehors; voici ce que nous trouvons dans une lettre que M. Verjus de Crécy, ambassadeur de France près de la diète germanique, écrivait à Villars de Ratisbonne, le 12 mai :


M. de Lantery[1] me fait un si grand éloge de vous, que j’ai cru devoir envoyer à notre cour un extrait de sa lettre, en y mandant en quel point de confiance et de considération il me revient de différens endroits que vous êtes auprès de M. l’électeur de Bavière. Je ne doute pas que le roi vous donne l’ordre de demeurer auprès de Son Altesse Électorale durant la campagne et après. C’est le plus joli poste et le plus de confiance qu’un Français puisse avoir en ce temps-ci à l’étranger... Vous aurez déjà su, monsieur, que le roi vous avait destiné pour celui de Vienne, mais que M. le marquis de Villars[2] a dit qu’il vous conseillerait de vous en excuser et qu’il vous en a excusé par avance. Pour aller à quelque chose de grand, l’emploi de Vienne ne me paraît en rien comparable à celui auprès de M. l’électeur de Bavière.

Le roi, frappé des qualités diplomatiques dont Villars semblait donner la preuve, avait pensé à lui pour remplacer à Vienne, comme envoyé extraordinaire, le comte de La Vauguyon rappelé en France : il l’avait fait sonder par Croissy; mais Villars était de l’avis de M. Verjus. « Je mets une grande différence entre ces deux postes, avait-il répondu à Croissy ; celui-ci me paraît très agréable par l’espérance d’y pouvoir utilement servir Sa Majesté et, pour l’autre, il y a mille raisons qui m’obligeraient à vous supplier très humblement de vouloir bien ne me le point destiner. »

Parmi ces raisons, une des plus sérieuses était qu’une situation officielle à Vienne entraînait l’obligation de renoncer à la campagne de Hongrie : or Villars comptait bien guerroyer contre le Turc et attendait avec impatience l’autorisation qu’il avait sollicitée du roi. Louis XIV n’avait garde de la refuser : il ne voulait pas laisser échapper l’occasion qui s’offrait de rester en communication avec l’électeur et d’être exactement renseigné sur les chances d’une guerre qui occupait les forces de l’Autriche. Il permit donc à Villars de suivre Max-Emmanuel et lui assigna un traitement: mais il insista de nouveau pour qu’il ne prît aucun caractère officiel et ne laissât rien transpirer de sa mission. Croissy joignit aux

  1. Ministre de Savoie à Munich.
  2. Le père de notre Villars.