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et de bouche de la faire. » — Ille : « J’ai promis d’aller à Vienne : quant à la campagne, si j’ai mes raisons pour ne pas la faire, qu’a-t-on à dire ? » — Ego: « Si Votre Altesse Électorale a des raisons que j’ignore, je n’ai rien à dire, mais le monde dira qu’Elle a une faiblesse et qu’Elle a donné dans le panneau de l’horoscope. » — Ille : « Personne ne le croira. » — Ego : « Il sera difficile d’enlever cette opinion à ceux qui l’auront : en tout cas, on n’aura rien à reprocher à l’Empereur. » — Ille : « Ainsi vous croyez ma réputation engagée ? » — Ego : « Au plus haut degré. » — L’Électeur me congédia alors en me disant qu’il y songerait et me ferait connaître sa réponse…


Pendant les deux jours qui suivent, Kaunitz sort difficilement de chez lui. Il logeait chez le valet de chambre de l’électeur, un Français nommé Châteauneuf, qui arrivait de Paris avec une cargaison de modes nouvelles : l’électrice et les princesses viennent chez lui incognito pour voir les étoffes et les dentelles. Kaunitz rencontre encore l’électeur, sans pouvoir rien tirer de lui ; il lui par le du courrier qu’il avait rencontré en venant et remarque que l’électeur rougit :


… Je ne doute pas que sa réponse ne dépende du retour de ce courrier et des nouvelles qu’il lui rapportera du ministre dont j’ai déjà parlé. Je ne puis croire que ce dernier agisse cum scita et consensu Augustissimi ; il n’en est pas moins fatal aux négociations dont je suis chargé, et bien malheureux pour moi, que l’on permette de nouer ainsi des intrigues par le moyen d’une femme, au détriment des intérêts de Sa Majesté et pour le discrédit de ses envoyés officiels… Si l’Électeur ne fait pas la campagne, on peut s’attendre aux pessimas sequelas… S’il ne vient pas à Vienne… il faut considérer l’éventualité d’un voyage beaucoup plus éloigné et plus dangereux. (En France sans doute) Pour l’empêcher il faudrait se débarrasser des mauvaises gens. Hic labor, hic opus est, sed neque de hoc desperandum : mais cela ne peut s’écrire et, si le cas se présente, je devrai revenir au plus vite… pour apportera l’empereur mes informations… Je vois peu de gens capables de servir et beaucoup capables de nuire : que peut-on espérer d’une femme comme celle-là, qui a mangé un capital supérieur à 300,000 fl., n’a aucun moyen de continuer son train de dépense, et cherche par conséquent des ressources per fas et nefas ? Elle a correspondu avec le prince Égon et maintenant ne le quitte pas. Villars a aussi souvent avec elle de longs discursus et a plus souvent des secrets à lui dire. Le P. Benfali a recours à elle pour le mariage de Florence : tous les Savoyards lui font la cour. Le grand chambellan (Berkheim), Leydel et bien d’autres m’ont confié qu’ils ne doutaient pas que la France n’eût la main dans le jeu, et que cette femme ne fût l’instrument du ministre